Une question de "races"
En dehors des contextes de guerre, de stratégie militaire, et de théorie coloniale, on met souvent en avant les différences irréductibles de tempérament entre Anglais et Français, avec les conséquences qui s'en suivent dans le domaine du voyage et de la colonisation. Remontons à Lamartine qui écrit, dans ses Souvenirs d'un voyage en Orient[1] (1835), p. 66-68 :
Il y aurait donc, pour Lamartine, une promesse coloniale de la part d'un peuple renfermé dans son île, mais s'épanouissant à l'extérieur, et, de plus, un attachement à la liberté susceptible d'être répandu de par le monde. Déjà, la politique anglaise de « |
Les politiques coloniales des deux pays ne sont donc pas seulement liées à des questions d'ordre géostratégique ou politique. Même les responsables coloniaux les plus hauts placés font intervenir le tempérament des peuples, la question des « races » françaises et anglo-saxonnes. Aussi bien du côté anglais que français.
Pour Lord Cromer ( Modern Egypt[3], p. 236-237) : le succès des Français auprès de certaines populations indigènes, en particulier les Orientaux, s'explique par des raisons de tempérament. L'Anglais est timide (shy), peu démonstratif, il a des habitudes insulaires, alors que le Français est vif et cosmopolite (vivacious and comopolitan). Tandis que l'Anglais est sincère — on se souvient que Lyautey le dit «sérieux» — le Français à peine débarqué sympathise avec le premier venu, et fait étalage de ses démonstrations d'amitié — Lyautey le dit "blagueur" — joue un rôle. L'Oriental, d'une éducation incomplète (semi-educated), ne fait pas la différence et se jette dans les bras du Français.
On peut être frappé par le fait que, dans le fond, les représentations du Français et de l'Anglais peuvent finalement coïncider assez bien des deux côtés de la Manche. L'explorateur Solonet ne fait-il pas une constatation assez proche de celle de Lord Cromer lorsqu'il écrit :
Traînant à sa suite les immuables habitudes de sa vie privée, figé dans son habitude nationale si tranchée, le fonctionnaire des colonies britanniques s'abstrait de la vie noire qui ne l'intéresse pas. Il surveille de haut, de loin, mais descend rarement parmi la foule. Traditionaliste et peu curieux, il s'en tient à son thé, à son golf, à son polo. Au contraire, notre administrateur d'Afrique occidentale côtoie de très près l'existence indigène et s'y mêle quelquefois. Il est accueillant pour ses administrés, préside leur tam-tam, boit du Dolo [bière de mil], mange même à l'occasion de la cuisine locale (cit. Lourdes Rubiales[4], p. 114)
Citons encore ces réflexions que Maurice Delafosse prête à son Broussard : « La principale différence entre eux est que l'Anglais emporte son home avec lui et se trouve désemparé s'il l'a oublié, tandis que le Français ne s'embarrasse de rien, mais, où qu'il se trouve, dans quelque condition défavorable qu'il soit placé, sait se créer un « chez-soi », modeste et peu coûteux, mais suffisamment confortable »
(p. 34-35).
De nombreux textes « littéraires » évoquent, sur le mode ethnologique, la différence des tempéraments entre Anglo-Saxons et Français, et ses conséquences sur ce qu'on pourrait appeler, à ce niveau, l' « attitude coloniale ». Les exemples ne manquent pas.
Mais il faut aussi se méfier de ces stéréotypes à retournement, car s'il arrive qu'on retrouve le même jugement sur les Français tant du point de vue anglais que français, le cliché peut aussi bien s'inverser — que ce soit sous une plume anglaise ou française. Myriam Harry, femme de lettres française, malgré son nom, et lauréate du prix Femina 1905, donne du Français aux colonies une autre description :
Le Français, dit-elle, part (aux colonies) en exilé, en expatrié et son influence éphémère restera, pour ainsi dire, une influence d'exportation. Il est, selon une définition britannique, « un monsieur qui demande du pain blanc sous toutes les latitudes et qui ignore le premier mot de la géographie coloniale. Il ne s'acclimate pas, il vit avec un torticolis vers le passé et le cœur malade de la nostalgie du sol natal. Il ne respire que les jours de courrier et, à chaque instant, parle de " partir pour France » (il omet intentionnellement l'article), comme un enfant dirait " aller chez maman". Systématiquement réfractaire au pays qu'il colonise, volontairement ignorant de sa langue, de ses mœurs, de sa religion et de son code, ostensiblement dédaigneux de tout ce qu'il ne connaît pas, ce n'est pas lui qui peut écrire le roman colonial (cit. Cario et Régismanset[5], p. 275)