Introduction aux discours coloniaux

Une tradition de la rivalité

En 1804, Bory de Saint-Vincent[1], est convaincu que l'Asie ne pourra jamais faire l'objet d'une occupation militaire et pas davantage d'une colonisation véritable, comme la rêvait Dupleix.

DupleixInformationsInformations[2]

« Ce n'est pas comme envers des vaincus que l'on doit traiter dans les relations commerciales avec les peuples de l'Asie. Jamais des Européens ne pourront établir dans cette partie du monde qu'une puissance précaire, qui disparaîtra comme l'éclair dont elle aura eu l'éclat et la brièveté » (Tome III, p. 265). Cette position nettement anticoloniale pour ce qui concerne l'Asie s'accompagne d'un déplacement des enjeux : ce ne sont pas les terres qu'ils faut disputer aux Anglais, mais les mers.

L'occupation des mers, par une puissante marine, capable de couper la route des Indes aux Anglais, lui paraît la véritable stratégie. Il ne s'agit pas de reprendre aux Anglais les territoires perdus en 1763, mais bien d'étouffer le commerce britannique en s'assurant la suprématie maritime dans cette région du globe : « Que la France, écrit-il, conduite par un génie créateur, couvre l'océan Indien de ses vaisseaux de guerre » (Tome III, p. 264). On pourra alors détruire la puissance coloniale anglaise dans cette région du monde, dans le but d'ouvrir le commerce, confisqué par les Anglais, à l'ensemble des nations. Tous les moyens peuvent être bons pour conduire à cette fin :

De ce que je pense que les puissances européennes ne doivent point avoir d'établissements capitaux dans l'Inde , il s'ensuit que toutes doivent se réunir contre celle à laquelle il en reste, détruire ses forteresses , aider les peuples qu'elle foule à secouer un joug de fer ; alors, l'Inde deviendra une source de richesses, et chaque État commerçant en retirera des profits, en raison des moyens qu'il pourra consacrer à ce négoce. On voit par-là que les puissances les plus riches en hommes et en vaisseaux, retireront le plus d'avantages de la liberté de l'Inde ; et l'État qui sera alors le plus riche en matelots et en marine, devra être évidemment celui dont les forces auront suffi pour détourner les sources de la prospérité britannique (Tome III, p. 265-266).

On est alors dans le contexte des guerres napoléoniennes, et l'idée de Bory de Saint-Vincent est d'étendre, sinon de déplacer le centre des opérations, en profitant de l'alliance avec la Hollande qui reste une grande puissance maritime.

Prenons maintenant un autre exemple à l'autre bout du siècle. La comtesse Drohojowska[3] fait en 1885, l'année fameuse de la défense de sa politique coloniale par Jules Ferry, une analyse historique de la colonisation anglaise qu'elle divise en trois périodes.

La première période est celle où les colonies anglaises « se gouvernaient elles-mêmes » (p. 258), la puissance métropolitaine s'y réservant seulement, ce qui n'est d'ailleurs pas rien, le monopole du commerce extérieur. Cette politique se heurte rapidement à la volonté des colons d'acquérir leur totale indépendance. C'est alors l'anéantissement du premier empire britannique.

Le guerres napoléoniennes, entièrement tournées vers l'Europe, vont permettre à l'Angleterre de reconstituer une partie de cet Empire. Mais cette fois, les Anglais veulent assurer la gestion administrative directe des colonies, pour mieux maintenir leur domination. Ce qui a pour résultat de grever considérablement le budget de la métropole, tout en gênant l'initiative des colons.

Ce régime avait un double inconvénient ; il enrayait l'activité des colons et surchargeait outre mesure le peuple anglais. A vrai dire, la Grande-Bretagne se constituait par là tributaire de ses dépendances. Il serait difficile de décider qui souffrait le plus de cet état de choses, de la métropole ou des colonies. Ce ne fut pas de longue durée : les provinces coloniales, où l'esprit de la race anglaise dominait, acquirent ue jour en jour plus d'indépendance administrative (p. 259).

C'est au cours de la troisième période, qui date selon la comtesse Drohojowska du milieu du XIXème siècle, que l'Angleterre va adopter la doctrine d'une relation de direction des colonies n'imposant que le respect de la couronne, et laissant la plus grande autonomie aux colonies pour ce qui est de leur gestion. C'est cette doctrine qui va être opposée à celle de la France, et discutée dans les années qui suivent.

Bien avant la rivalité franco-britannique, bien avant la conférence de Berlin de 1885, un premier partage du monde avait été effectué. Le traité de Tordésillas (1494), mettait un terme à la rivalité entre le Portugal et l'Espagne. Il résultait d'une renégociation entre les deux puissances d'une bulle papale d'Alexandre VI (Inter ceterae..., 1493).

Traité de TordesillasInformationsInformations[4]
  1. Bory [1804]

    Bory de Saint-Vincent, Geneviève Jean-Baptiste-Marcellin, Voyage dans les quatre principales îles des mers d'Afrique, fait par ordre du gouvernement, pendant les années neuf et dix de la République (1801 et l802), avec l'histoire de la traversée du capitaine Baudin jusqu'au Port-Louis de l'île Maurice, 3 vols, Paris, Chez F. Buisson, 1804.

  2. Estampe représentant Dupleix, gouverneur des Indes françaises de 1742 à 1754. Date : Deuxième moitié du XVIIIème siècle, après 1763, date exacte inconnue. Source (rmn.fr) http://www.photo.rmn.fr/cf/htm/CPicZ.aspx?E=2C6NU0G40PNU Auteur Sergent Louis François (1751-1847). Licence : Domaine Public

  3. Drohojowska [1885]

    Drohojowska, Antoinette-Joséphine-Françoise-Anne, Les Grandes Iles de l'Afrique orientale : Madagascar, La Réunion, Maurice, Lille, J. Lefort, 1885, 289 p.

  4. http://www.dailymotion.com/video/xc5px1_1494-traite-de-tordesillas_school

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