Les sources de la propagande
Les sociétés savantes
On sait que ce sont les Sociétés de géographie qui ont le plus anciennement soutenu l'exploration et la connaissance des pays exotiques, et ultérieurement l'expansion coloniale, à une époque où la géographie, comme science et comme enseignement, connaît un développement remarquable (voir Numa Broc[1]).
La Société de géographie de Paris a été fondée dès 1821, et est la plus ancienne au monde. On ne dira pas, pour une fois, que les Britanniques ont été des prédécesseurs. En effet, la Royal Society of Geography n'est créée qu'en 1830.
En France, d'autres sociétés de géographie vont voir le jour : pas moins de trente-cinq Sociétés de géographie seront créées entre 1873 (Lyon) et 1946 (Compiègne) : Société de géographie de Lyon (1873) ; Société de Géographie commerciale de Bordeaux (1873) ; puis Marseille (1876) , Montpellier, Rochefort, Oran (1878) , Nancy, Rouen (1879), Alger, Bourg, Dijon, Douai, Lille, Lorient, Nantes, Toulouse, Tours, etc. (voir site officiel[2]). L'ensemble de ces sociétés se réunissent en congrès.
La Société de géographie publie de Paris un bulletin, et s'illustre dans les récompenses qu'elle offre aux explorateurs, par exemple à René Caillé en 1830, pour sa découverte de Tombouctou. Une annonce avait paru dans le Bulletin de la Société en 1825 :
M. Jomard annonce qu'un anonyme fait à la Société [de Géographie] un don de mille francs , destiné à être joint au don récemment fait par M. le Comte Orloff pour l'encouragement des découvertes, et à être offert en récompense au premier voyageur qui aura pénétré jusqu'à la ville de Tombouctou, par la voie du Sénégal, et qui aura procuré: 1° des observations positives et exactes sur la position de cette ville, sur le cours des rivières qui coulent dans son voisinage, et sur le commerce dont elle est le centre ; 2° les renseignements les plus satisfaisants sur les pays compris entre Tombouctou et le lac Tsad [Tchad], ainsi que la direction et la hauteur des montagnes qui forment le bassin du Soudan ( Volume 3, Cahier de janvier et février 1825, p. 45[3] [3]).
France Culture. "La fabrique de l'histoire" 17/01/2007. Interview d' Isabelle Surun, chercheuse au centre Alexandre Koyré et spécialiste de René Caillé
Heinrich Barth, explorateur allemand, reçoit le prix annuel de la Société en 1856, toujours pour un voyage à Tombouctou, et Henri Duveyrier en 1864 pour son voyage de découverte dans le sud algérien, dans des régions qui ne sont pas encore sous domination française. Dans son rapport, Vivien de Saint-Martin, expose les motivations de l'explorateur : |
Il voulait étudier sous la tente, au milieu de leurs habitudes à demi nomades, les populations indépendantes de ces contrées incultes qui ne sont pas encore le désert, mais qui déjà en offrent l'image ; il voulait, en poussant aussi loin que possible dans toutes les directions, rattacher par une série d'observations physiques et astronomiques ces plaines du Sahara algérien et leurs nombreuses oasis aux positions extrêmes où s'arrêtait alors l'action civile et militaire de nos trois provinces ; il voulait étendre par les conquêtes de la science les conquêtes du drapeau ( 5e série, volume 7, p. 338[3]).
Et le rapporteur conclut en renforçant cette fois le lien entre le drapeau et la science :
Les longues investigations de M. Duveyrier, en même temps qu'elles ont puissamment servi la science, ont eu aussi des résultats fort importants pour l'extension de nos rapports avec les tribus intérieures. Servir à la fois l'honneur scientifique et les intérêts de son pays est un double titre que réunit M. Duveyrier (p. 353).
Il va de soi que la géographie ne saurait être indifférente aux politiques ni aux militaires, lesquels d'ailleurs, se sont montrés géographes comme ils ont fait un travail d'ethnologue. Pour conquérir, il est préférable de connaître le terrain, de disposer de cartes (l'un des mérites de Duveyrier est justement d'avoir établi une carte plus précise que les précédentes), d'un savoir suffisamment précis sur les habitants, leurs mœurs et leur organisation politique, enfin de pouvoir apprécier les ressources naturelles du territoire convoité : en somme tout ce que peuvent offrir les connaissances d'un géographe. Géographie et colonisation n'ont ni les mêmes buts, ni les mêmes zones d'activité, mais il est difficilement imaginable qu'elles ne se croisent pas, qu'elles ne se confortent pas mutuellement. C'est ce que Lord Curzon, cité par Edward Said, déclarait en 1912 dans une communication à la Geographical Society, dont il était le président (après avoir été, de 1899 à 1905 vice-roi des Indes) : |
Une révolution absolue s'est produite, non pas simplement dans la manière d'enseigner la géographie et dans ses méthodes, mais dans l'estime où elle est tenue par l'opinion publique. Aujourd'hui, nous considérons la connaissance de la géographie comme une part essentielle des connaissances générales. C'est avec l'aide de la géographie, et pas autrement, que nous comprenons l'action des grandes forces de la nature, la distribution de la population, la croissance du commerce, l'expansion des frontières, le développement des états, les splendides résultats auxquels parvient l'énergie humaine dans ses diverses manifestations.
Nous reconnaissons la géographie comme la servante de l'histoire [...] La géographie est aussi une science sœur de l'économie et de Ia politique; tous ceux d'entre nous qui ont tenté d'étudier la géographie savent que, au moment où l'on diverge du champ de la géographie, on se trouve en train de passer la frontière de la géologie, de la zoologie, de l'ethnologie, de la chimie, de la physique et de presque toutes les sciences apparentées. Nous avons donc raison de dire que la géographie est l'une des toutes premières sciences, qu'elle fait partie de l'équipement qui est nécessaire pour bien comprendre le civisme, et qu'elIe est un auxiliaire indispensable à la formation d'un homme public ( Said[7], p. 247-248).
Dans la stratégie d'Eward Said, foucaldien convaincu, il s'agit de mettre en évidence les relations entre savoir et pouvoir qui ont précédé puis accompagné l'expansion coloniale. Il n'y avait cependant pas là de lièvre caché, et la collaboration entre géographes d'une part, politiques et militaires d'autre part, va de soi, en particulier aux yeux des uns et des autres. Il est clair que l'expansion coloniale ne peut que bénéficier aux géographes, et réciproquement.
D'ailleurs, comme le remarque Dominique Lejeune[8], dès les années soixante (mais les exemples cités ci-dessus montrent que l'idée était présente bien avant), les Sociétés géographiques se prononcent sur des questions politiques.
C'est particulièrement clair, lorsque, avant la conquête programmée de Madagascar, elles donnent un avis, par voix consultative, sur le système de colonisation à adopter dans la Grande île, ce qui, on en conviendra, relève d'une décision éminemment politique.
Les discussions qui avaient eu lieu au parlement, et le vote du budget qui s'en est suivi, prévoyait qu'après l'expédition, on établirait à Madagascar un régime de protectorat. Or, le débat faisait rage entre les partisans du protectorat, dont l'élément fédérateur était le Comité de Madagascar, et ceux de l'annexion, soutenus par le lobby réunionnais. Et voici que les Sociétés de géographie françaises, réunies en congrès à Bordeaux, se prononcent en faveur de l'annexion, au grand dam des partisans du protectorat. Voici ce qu'on peut lire dans le Bulletin du Comité de Madagascar, 1895, p. 282 :
Le Congrès des sociétés de géographie, réuni à Bordeaux au commencement d'août, a émis un vœu en faveur de l'annexion de Madagascar [à une majorité relative] [...] La question, du reste, n'offre qu'un médiocre intérêt; le vœu eût-il été adopté par une forte majorité, nous n'imaginons pas que trente ou quarante personnes, momentanément réunies, puissent avoir la prétention de résoudre, dans un sens ou dans un autre, les intérêts les plus considérables du pays. Il n'y a donc pas lieu d'attacher d'importance au vœu du Congrès de Bordeaux, d'autant que c'est le propre des assemblées sans responsabilité et sans mandat de prendre des mesures sans les étudier et de vouloir tracer au gouvernement son devoir.
Il n'est pas inutile, non plus, de faire remarquer que la question de Madagascar n'était point à l'ordre du jour du Congrès. Les membres qui ont pris part au vote n'ont, par conséquent, pu émettre que des opinions personnelles, qui n'ont dès lors pour valeur que celle que le nombre leur donne.
On voit bien que ce «passage à l'acte» des sociétés de géographie est ici contesté aussi bien dans son principe que dans la forme, bien que, de son côté, le Comité de Madagascar n'eût d'autre légitimité que celle d'être une association plutôt qu'une société savante. La propagande qui s'exerce ici est en quelque sorte interne au monde colonial, traversé par des débats d'importance puisqu'ils relèvent de la politique de colonisation et des formes juridiques qu'elle doit prendre sur le plan international.
Significative de l'investissement dans la politique d'expansion coloniale et dans la croyance dans ses retombées économiques, la scission, en 1876, entre la Société de géographie de Paris et la Société de Géographie commerciale de Paris, qui n'était à l''origine qu'une section de la société mère. La dernière née va évidemment publier son Bulletin : Bulletin de la Société de Géographie commerciale de Paris. Comme on peut s'y attendre, cette société va tenter d'organiser elle aussi des expéditions qui d'ailleurs ne seront pas toujours couronnées de succès. La conclusion de ce récit le montre :
M. Largeau, de retour en France, a vainement tenté d'organiser une nouvelle expédition ayant pour but l'exploration des plateaux de l'Agar sur lesquels aucun Européen n'a encore pénétré. Malheureusement le dévouement du public n'a point été à la hauteur de celui du voyageur. Des appels de fonds pressants organisés par la Société de géographie commerciale de Paris, qui avait pris plus spécialement M. Largeau sous sa protection, ont été peu ou mal entendus. Les sommes souscrites ont été insuffisantes et nous avons le chagrin de dire que le malheureux explorateur découragé est rentré dans la vie privée.
D'autres sociétés savantes et/ou pas seulement savantes, dans la mesure où leur action progagandiste figure généralement dans leurs statuts : la Société des Etudes coloniales et maritimes, la Société de Colonisation, la Société Académique Indo-chinoise, l'Union Coloniale, etc.
Les lobbys
L'expansion coloniale, il faut se le rappeler, est conditionnée par plusieurs facteurs et acteurs de décision et d'action qui semblent n'avoir pas été coordonnés, loin de là, dans la fin du XIXème siècle et le début du XXe.
D'abord, l'opinion publique, qui n'éprouve pas un intérêt passionné pour les colonies, mais reste sensible aux défaites encore plus qu'aux victoires de l'armée française en outre-mer. Ensuite, le Parlement, composé des élus du peuple, qui doit évidemment tenir compte de cette opinion publique, même si les députés peuvent, en retour, l'influencer. Enfin, le gouvernement, d'une très grande instabilité : les ministres et secrétaires d'état se succèdent à un rythme qui ne permet que difficilement une continuité politique. Les Colonies, qui sont rattachées à la Marine ou au Commerce, ne constituent un sous-secrétariat d'Etat qu'en 1893, et n'obtiennent un ministère autonome qu'en 1894.
C'est dans ce contexte qu'Eugène Etienne, lancé en politique par Gambetta, élu député d'Oran, sa ville natale, se rend compte qu'une politique coloniale efficace et suivie ne peut reposer sur un gouvernement trop volatile, et que c'est au Parlement d'incarner la détermination coloniale (voir Andurain[10]). Il s'agit dès lors d'organiser une propagande tenace auprès des députés, dont les résultats peuvent être autrement fructueux que ceux de la propagande auprès de l'opinion publique, utile elle aussi, mais insuffisante. C'est ainsi qu'Etienne et quelques autres vont constituer un lobby colonial qui va devenir le «parti colonial» en 1892. |
Le "parti colonial"
Si cette expression est toujours mise entre guillemets, c'est qu'il n'y a pas existence officielle d'un parti : Eugène Étienne recrute ses députés (il faut être député pour participer à la constitution du parti colonial) aussi bien à droite qu'à gauche. Ce groupe, très lié aux milieux d'affaires (voir Lagana[11]), disséminé dans l'hémicycle, va peu à peu imposer sa politique au gouvernement.
On appelle alors « parti » tout groupe de parlementaires ou de notables qui s'efforce d'exercer une influence politique au Parlement et dans le pays. En tant que groupe parlementaire, le parti colonial naquit le 15 juin 1892, jour où fut fondé un « groupe colonial » de quarante-deux députés. Un an plus tard, ils étaient cent treize. Désormais, à chaque législature nouvelle, le groupe colonial de la Chambre des députés, bientôt doublé par le « groupe de politique extérieure et coloniale » du Sénat, regroupait tous les élus coloniaux ou métropolitains favorables à une politique d'expansion outre-mer.
En 1892, ils appartenaient à toutes les tendances politiques, des monarchistes à l'extrême gauche, la grande majorité étant toutefois constituée de républicains modérés. Après les élections de 1893, sur 129 députés du groupe colonial, on comptait 8 monarchistes, 8 ralliés, 2 boulangistes, 83 républicains du centre et 28 radicaux. En 1902, s'inscrivirent 36 députés radicaux et un socialiste, 75 républicains du centre, 13 d'étiquette droitière et 15 députés sans appartenance. Le groupe colonial était devenu, en dix ans le plus important de la Chambre après le groupe agricole ( Ageron 2005[12]).
De ce point de vue, l'affaire de Fachoda (1898) en est une démonstration par la négative : ce sont les coloniaux qui l'ont déclenchée, et c'est le gouvernement qui a dû en subir les conséquences, tandis que l'opinion publique y a vu une humiliation pour la France. Certes, la mission Marchand a été soutenue par Gabriel Hanotaux, alors ministre des Affaires étrangères, mais c'est bien le parti colonial qui l'a initiée et encouragée (voir Hanotaux 1909[13]). La particularité de ce parti est qu'il est difficile de savoir avec précision de quelle manière les décisions y sont prises. Il y a les dîners, qui font l'objet parfois de la raillerie des journalistes, parlant du «coup de fourchette coloniale» : |
Le parti colonial déploie une activité qu'il n'est pas excessif d'appeler dévorante, en ce sens qu'elle se manifeste par des banquets incessants. Il n'y a pas de moyen de travailler au développement de notre empire d'outre-mer sans avaler hebdomadairement le turbot sauce aux Cafres [sic] et les banalités oratoires qui font le charme de ce genre de manifestations. On se ferait difficilement une idée de l'ardeur que cette alimentation développe chez certains de nos concitoyens, entre les mains desquels il n'est pas d'arme plus redoutable et plus conquérante que la fourchette de combat. Les coloniaux en chambre — voire en chambre des députés — ne sont rien auprès des coloniaux de salle à manger, dont l'expansion ne connaît pas d'obstacles quand un ministre honore leur table de sa présence ( p. 1[14])
Mais il y a aussi les loges, les membres du parti colonial étant pour la plus grande part affiliés à la franc-maçonnerie ( Ageron, 2005[12]), de sorte qu'il est difficile de retrouver les archives des réunions ou des débats préparatoires aux actions du parti.
Les comités et associations
Le parti colonial avait été précédé par la création du Comité de l'Afrique française en 1890, et dont le but pour partie scientifique, pour partie commercial et scientifique. Ce comité sera suivi de bien d'autres : Comité de l'Ethiopie, 1892 ; Union coloniale, 1894 ; Comité de l'Egypte, 1895 ; Comité de Madagascar, 1897 ; Comité de l'Asie française, 1901 ; Comité du Maroc, 1903.
L'intérêt de ces lobbys, Parti colonial, comités ou unions, fait toujours question. Le mot même d'intérêt est polysémique. Que ces lobbys aient eu des intérêts, il n'y a pas lieu de le contester. Mais de l'intérêt national, de l'intérêt commercial ou de l'intérêt humanitaire (mission civilisatrice) lequel l'emporte, lequel pousse les deux autres, ou dans quel ordre les classer ? Ou bien, cette question a-t-elle seulement un sens ?
En effet, il est bien difficile de démêler, compte tenu de la méfiance et de l'incrédulité des milieux d'affaires, si les coloniaux ont voulu, pour pouvoir financer leurs entreprises, faire miroiter les possibles bénéfices des placements coloniaux, ou si, inversement, la cupidité des milieux d'affaire s'est couverte de motifs d'intérêt scientifique ou patriotique. Il est probable que la réponse est indécidable, et même si la théorie marxiste du tout économique est depuis longtemps abandonnée, il est indéniable que certains acteurs ont été mus par l'espoir, parfois la réalité, de profits considérables.
Pour
Lagana[11], par exemple, « les intérêts économiques associés au Parti colonial et l'activité des représentants des milieux d'affaires ont toujours joué un rôle fondamental, sinon déterminant, dans la direction du Parti et dans l'orientation de sa politique »
(p. 1). Marc Lagana met en évidence les liens entre les milieux d'affaires et le parti colonial, mais sa démonstration pourrait à mon avis de rencontrer deux objections. La première est formulée par l'auteur lui-même : « le capitalisme français est beaucoup plus actif dans les régions qui ne sont pas sous domination française »
(p. 28), ce qui tend à confirmer l'idée répandue chez d'autres historiens (en particulier la thèse soutenue par Jacques Marseille), mais aussi par des contemporains, que la manne coloniale n'est pas globalement plus attractive pour le capitalisme français. La seconde remarque porte sur le caractère à mon avis trop tranché des catégories sociologiques utilisées par Lagana, opposant les milieux d'affaires, les politiques et les autres, ce qu'il reconnaît d'ailleurs :
L'équilibre entre la représentation des milieux politiques et des milieux d'affaires n'existe pas, et la séparation de ces deux milieux n'est pas étanche, loin de là. La carrière permet d'embrasser plusieurs activités, et un individu peut ainsi être présent dans différents groupes et dans différents milieux, tout en appartenant à la même classe. Cette appartenance à la classe dominante crée un soutien social, donne un point de référence commun et une certaine cohésion idéologique à des individus engagés dans des activités multiples et parfois contradictoires (p. 37).
De plus, l'on peut tout à fait présider des conseils d'administration et être lettré, curieux d'histoire et d'ethnologie, ce qui est le cas d'un Charles-Roux, par exemple. L'amalgame entre politique, affairisme et certains milieux scientifiques est un phénomène général sous la troisième République et il ne concerne pas uniquement le parti colonial.
La France n'est pas la seule à posséder des comités et autres sociétés coloniales. Selon Edward Said, les sociétés britanniques procèdent avant tout de sociétés à caractère religieux :
Les anciennes organisations telles que la Society for Promoting Christian Knowledge (Société pour le développement de la science chrétienne, 1698) et la Society for the Propagation of the Gospel in Foreign Parts (Société pour la propagation de l'Evangile chez les infidèles, 1701) ont vu leur œuvre poursuivie et, plus tard, encouragée par la Baptist Missionary Society (1792), la Church Missionary Society (1799), la British and Foreign Bible Society (Société biblique en Angleterre et a I'étranger, 1804), la London Society for Promoting Christianity Among the Jews (Société londonienne pour la propagation du christianisme chez les juifs, 1808). Ces missions "rejoignaient ouvertement l'expansion de l'Europe". Ajoutons-leur les sociétés commerciales, les sociétés savantes, les fondations pour l'exploration géographique, les fondations pour les traductions, l'implantation en Orient d'écoles, de missions, de bureaux consulaires, d'usines et, parfois, d'importantes communautés européennes, et la notion d' "intérêt" devient riche de sens. Par la suite, ces intérêts seront défendus avec zèle et à grands frais (p. 119)[7].
Remarque : L'Association internationale africaine de Léopold II
Au niveau international, le roi Léopold II a eu l'idée de créer l'« Association internationale africaine »
(AIA) en 1876, dont le but est d'abord philanthropique et ensuite de donner à sa colonie (puisqu'il en est encore le gestionnaire à titre privé) une stature internationale.
Pour cela il organise une conférence à Bruxelles où il veut réunir les acteurs des différents pays colonisateurs : |
La conférence décida de créer une association internationale qui comporterait des comités nationaux établis dans les différents pays. Ainsi vit le jour, le 14 septembre 1876, l'Association internationale africaine (AIA). Elle aurait son siège à Bruxelles et serait présidée par le roi Léopold. Celui-ci accepterait cette charge, même si par modestie, il ne consentirait provisoirement à l'assumer que pendant un an. Il dirigerait également le comité exécutif composé de l'explorateur allemand Nachtigal, du diplomate anglais sir Bartel Frere et du biologiste français Quatrefages, qui avaient tous participé à la conférence.
Les comités nationaux ne fonctionneraient jamais. Pour commencer, les Anglais y étaient très peu favorables. L'altière Royal Geographical Society n'avait pas la moindre envie de servir de succursale à une société bruxelloise. Paradoxalement, l'enthousiasme des Britanniques s'attiédit encore lorsque Léopold, essayant de leur plaire, commença à mettre en évidence l'aspect humanitaire de son entreprise, à savoir la lutte contre l'esclavage. Les Anglais n'ambitionnaient pas de détenir le monopole du commerce ou des explorations en Afrique, mais ils ne laisseraient personne leur ravir leur première place dans le domaine de l'abolitionnisme. Aussi créèrent-ils leur propre association, l'African Exploration Fund, mettant ainsi Léopold devant le fait accompli. En France, l'AIA reçut un accueil plus chaleureux. Le célèbre Ferdinand de Lesseps [...] prit la direction du comité français. Lors de l'Exposition universelle de 1878, il donna même des conférences pour promouvoir l'Association et lança l'idée d'une loterie nationale. Mais tout cela ne rapporta pas grand chose et l'action de l'Association fut financée presque entièrement par des subsides gouvernementaux [...] Des intérêts économiques et politiques entrèrent bientôt en considération. C'est ainsi que les passions nationalistes mirent prématurément fin aux projets internationalistes de Léopold ( Wesseling[16], p. 166-167)