Fatigue : aspects psychophysiologiques

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Il est intéressant de noter que si ce processus de régulation de l'allure est efficace chez le sujet expert, il ne l'est pas chez le sujet novice. Foster et collaborateurs suggèrent que cette capacité est apprise très tôt dans l'expérience d'un athlète sana que l'on sache exactement par quel processus. Mais la façon dont l'expérience acquise durant l'entraînement permet de développer cette capacité reste peu connue (Chaffin et al., 2008). On le justifie simplement par le fait que le sportif entraîné est parvenu à acquérir suffisamment d'expérience, sans savoir précisément comment cette expérience intervient (Buckley et al., 2004; Eston & Williams, 1988; St Clair Gibson et al., 2006).

Certains auteurs ont suggéré que les athlètes développent une représentation réaliste et stable des intensités qu'ils sont capables de maintenir pour différentes distances ou durée d'exercice (Foster et al., 2009; Hettinga et al., 2006). Ainsi, avec l'entraînement ils apprendraient à utiliser le bon « gabarit » d'intensité correspondant spécifiquement à la nature de la tâche à effectuer.

La mémoire des efforts précédents semble être un facteur important permettant d'améliorer la conscience des changements physiologiques induits par l'exercice et donc dans l'acquisition du processus de régulation de l'allure (Baron et al., 2011; St Clair Gibson et al., 2006; Ulmer, 1996). En effet, Hebert et coll ont montré qu'il existe une relation étroite entre la sensibilité intéroceptive et l'expérience sensorielle correspondant à la quantité de données stockées (Herbert et al., 2007a; Herbert et al., 2007b). En fait, chaque exercice réalisé dans une zone d'intensité, laisse une trace mnésique qui permet d'enrichir la base de données servant au sportif à savoir de plus en plus précisément le niveau de charge affective qu'il est capable de des entraînements et compétitions lui permet ainsi de construire un « patron » ou « gabarit » de puissance à adopter pour chaque durée d'exercice.

Quand un sujet n'a aucune expérience préalable de l'exercice exercice, les représentations de la tâche sont imprécises parce qu'aucun élément de comparaison à partir d'un événement antérieur n'est disponible dans la mémoire. Par conséquent, le temps nécessaire pour parcourir une distance ne peut pas être estimé avec précision. De même, les capacités physiologiques et la capacité de résister aux sensations de la fatigue ne sont pas encore connues. Par conséquent, la stratégie optimale ne peut pas être déterminée avant ni réévaluée pendant l'exercice. Les informations cognitives développées par chaque session d'exercice permettent par contre de renforcer la sensibilité intéroceptive. C'est bien cette connaissance intéroceptive qui est importante pour développer la capacité de régulation de l'allure. Chaque exercice est l'occasion d'associer un niveau de charge affective avec la capacité à maintenir cet effort pour une durée spécifique sans entraîner une perte catastrophique de la performance. Ainsi, chaque émotion mémorisée pour chaque session d'entraînement permettrait d'améliorer la quantité et la qualité des données stockées. Acquérir de l'expérience revient ainsi en fait à augmenter le stock d'émotions associées à chaque intensité d'exercice. L'athlète expérimenté devient ainsi capable, après avoir multiplié les conditions de comparaison d'intensités sélectionnées avec ses effets émotionnels et la capacité à finir l'exercice, de contrôler efficacement son investissement en sélectionnant le niveau approprié de charge affective pour la durée prévue. C'est donc en augmentant les conditions d'essais-erreurs durant les entraînements et compétitions que l'athlète acquiert l'expérience suffisante pour contrôler efficacement son intensité d'exercice en fonction de l'exercice à réaliser.

A l'heure actuelle, aucune méthode visant à optimiser l'apprentissage de cette stratégie n'est utilisée dans le domaine de l'entraînement, que ce soit pour la performance sportive, la santé ou l'éducation physique et sportive. La capacité de régulation de l'allure, et l'amélioration de la connaissance de soit par le biais du renforcement de la conscience intéroceptive est pourtant importante dans tous ces domaines. Car être capable de réguler efficacement son allure en fonction de la nature de l'exercice à réaliser et de ses capacités physiologiques du moment, revient à augmenter ses chances d'être performant sur des épreuves de moyennes à très longue durée pour l'athlète, ou d'être capable de réaliser dans de bonnes conditions autant un footing, qu'une randonnée en nature, une sortie vélo ou une séance de natation dans le domaine de la santé, ou encore préparer sa future vie physique d'adulte pour les enfants et les adolescents en cours d'éducation physique et sportive.

Imaginer si pour apprendre à réaliser un revers en tennis, ou n'importe quel geste sportif, on se contentait de multiplier le mouvement un très grand nombre de fois, sans se soucier de la façon dont il est réaliser et sans chercher à le corriger. Cela reviendrait à considérer qu'à force d'effectuer le geste, et par système d'essais-erreurs, le pratiquant finirait par spontanément « trouver » le bon mouvement. C'est exactement ce que l'on fait à l'heure actuelle pour la stratégie de régulation de l'allure. On laisse juste l'expérience faire son effet.

Pourtant, même s'il est vrai que les sportifs experts ont une meilleure stratégie de régulation de l'allure que les novices, les observations de terrain montrent que cela ne suffit pas toujours. Certains cyclistes de haut niveau par exemple sont très performants en contre la montre par équipe mais pas en individuel. Les facteurs physiologiques ou techniques de la performance ne peuvent pourtant pas être mis en jeu, sinon ils ne seraient pas performant collectivement non plus. La seule explication possible est qu'ils ont une capacité personnelle de régulation moins efficace quand personne ne leur donne le bon tempo. Cela montre que des méthodes visant à développer spécifiquement cette capacité doivent être mises en place afin d'améliorer importante durant l'enfance et l'adolescence, St Clair Gibson et collaborateurs propose de travailler cette capacité durant cette période de la vie. D'autant que si un mauvais « patron » de régulation est appris, de nombreux et longs efforts seront nécessaires pour les corriger, comme pour les gestes sportifs là encore.

Être capable de faire un bon revers en tennis, c'est être capable de le réaliser correctement dans toutes conditions, quelque soit la vitesse à laquelle arrive la balle, ou sa hauteur ou sa position sur le court. De la même façon, savoir contrôler efficacement son allure, c'est être capable de la faire quelque soit la nature de l'exercice à réaliser, ou de son niveau de forme. Reproduire des temps de passages et utiliser des repères extéroceptifs ne peut donc constituer qu'une étape dans l'apprentissage. Seule l'amélioration de la conscience intéroceptive peut être réellement efficace pour devenir capable de mettre en parfaite adéquation la nature de l'exercice avec le stress physiologique qu'il engendre. C'est donc dans cette direction que les méthodes d'apprentissages doivent être orientées.

ComplémentRéférences

Baron, B., Moullan, F., Deruelle, F., & Noakes, T. D. (2011). The role of emotions on pacing strategies and performance in middle and long duration sport events. Br J Sports Med, 45(6), 511-517.

Buckley, J. P., Sim, J., Eston, R. G., Hession, R., & Fox, R. (2004). Reliability and validity of measures taken during the chester step test to predict aerobic power and to prescribe aerobic exercise. Br J Sports Med, 38(2), 197-205.

Chaffin, M. E., Berg, K., Zuniga, J., & Hanumanthu, V. S. (2008). Pacing pattern in a 30­minute maximal cycling test. J Strength Cond Res, 22(6), 2011-2017.

Eston, R. G., & Williams, J. G. (1988). Reliability of ratings of perceived effort regulation of exercise intensity. Br J Sports Med, 22(4), 153-155.

Foster, C., Hendrickson, K., Peyer, K., Reiner, B., Dekoning, J. J., Lucia, A., et al. (2009). Pattern of developing the performance template. Br J Sports Med.

Herbert, B. M., Pollatos, O., & Schandry, R. (2007a). Interoceptive sensitivity and emotion processing: An eeg study. Int J Psychophysiol, 65(3), 214-227.

Herbert, B. M., Ulbrich, P., & Schandry, R. (2007b). Interoceptive sensitivity and physical effort: Implications for the self-control of physical load in everyday life. Psychophysiology, 44(2), 194-202.

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