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Régulation de l'allure :
Si dans les activités de sprint ou qui nécessitent de l'explosivité, le sportif doit fournir la plus grande quantité d'énergie possible sans que celle-ci ait besoin d'être régulée durant l'épreuve, l'utilisation de l'énergie potentiellement disponible doit être contrôlée dès que la durée d'exercice augmente. En fait, dès que la durée de l'exercice interdit que celui-ci puisse être réalisé à une intensité maximale, la capacité de régulation de l'allure devient donc un facteur primordial de la performance (de Koning et al., 2005; Foster et al., 1994; Hettinga et al., 2007; van Ingen Schenau & Cavanagh, 1990). Cette capacité, appelée « pacing strategy », peut faire la différence entre les sportifs ayant les mêmes ressources énergétiques. Elle doit permettre que la diminution de la puissance externe soit minimisée malgré l'apparition de la fatigue (de Koning et al., 1999; van Ingen Schenau et al., 1992).
Malgré son importance, cette capacité est pourtant très peu étudiée alors que les applications potentielles aux domaines de la performance sportive et du réentraînement dans un objectif de santé sont importantes.
Cette capacité est d'autant plus intéressante d'un point de vue scientifique puisqu'elle n'est maîtrisée que par le sportif expert sans que l'on sache par quels mécanismes cet apprentissage s'effectue.
Le processus de régulation de l'allure peut être défini comme l'ensemble des mécanismes permettant de contrôler le niveau de dépense énergétique (de Koning et al., 1999; Foster et al., 1994; Foster et al., 1993). A la fois les ressources anaérobies et aérobies interviennent dans la régulation de la puissance développée (Foster et al., 2003). En fonction de la durée d'exercice, les réserves en phosphagène (exercices de 20-120s), en glycogène (exercices prolongés) (Rauch et al., 2005), ou le niveau d'accumulation de métabolites (exercices de 2-10min) (Karlsson & Saltin, 1970) sont reconnus comme les facteurs physiologiques principaux influençant les variations de la puissance.
Quand on réfléchi aux différents facteurs qu'un sportif doit maitriser pour être capable de sélectionner le plus précisément possible l'allure de course, il apparait qu'il doit tenir compte à la fois de la nature de l'exercice (durée estimée de l'effort, conditions environnementales...), et de ses propres capacités physiologiques. Une erreur minime de choix d'intensité, qu'elle soit sous ou surévaluée par rapport au niveau optimal de l'instant, sera irrémédiablement sanctionnée par une contre performance.
Dans des activités standardisées (distance de compétition fixe, environnement stable : piste couverte d'athlétisme ou de cyclisme, bassin de natation), il est relativement aisé de reproduire des temps de passage afin d'atteindre la meilleure performance espérée en fonction de ses propres capacités. On pourrait donc se résoudre à négliger l'intérêt de ce processus de régulation. Cela reviendrait néanmoins à faire l'hypothèse que les capacités du sportif au moment précis du départ de la compétition correspondent exactement à ce que l'entraîneur a prévu à partir de résultats précédemment réalisés en compétitions ou à l'entraînement. Les capacités du sportif évoluant d'un jour à l'autre en fonction de son niveau de forme, un réajustement est souvent nécessaire.
La capacité de régulation est d'autant plus nécessaire quand l'activité est soumise à des conditions environnementales variables et/ou que les distances ne sont pas identiques d'une épreuve à une autre. Cela correspond à un grand nombre d'activités dites « outdoor » (course à pied sur route ou en nature, cyclisme sur route ou vtt, triathlon...), un des exemples les plus flagrants étant la pratique des trails, dont la distance, la nature du terrain, les dénivelés, les conditions climatiques varient d'une épreuve à une autre et durant la compétition elle-même.
4 stratégies utilisables, peuvent être identifiées ?(St Clair Gibson et al., 2006)? (figure 1).
Figure 1 : Les différentes stratégies de régulation de l'allure au cours de l'exercice (St Clair Gibson et al., 2006).
1) stratégie dans laquelle le sportif commence à une allure élevée et essaye de tenir ainsi jusqu'à ce que l'exercice se termine. Du fait de la fatigue, une diminution de la puissance développée est observée (figure 1-a). Cette stratégie est dite « all-out ».
2) la stratégie de gestion avec un départ lent durant laquelle le sportif augmente progressivement l'intensité au fur et à mesure de la durée de l'exercice (figure 7-b).
3) la stratégie de gestion avec une intensité constante durant toute la durée de l'exercice (figure 1-c).
4) la stratégie de gestion variable où le sportif débute à une intensité élevée, récupère un peu et termine en donnant son plein potentiel (figure 1-d).
A l'heure actuelle, il semble difficile de définir clairement quelle est la stratégie optimale parmi les quatre catégories identifiées. Elle dépend certainement des habitudes prises antérieurement à l'entraînement et en compétition. Il est par contre vérifié qu'un sportif expert parvient à réguler efficacement sa puissance, et ce quelque soit son niveau de forme, en tenant compte de ses propres possibilités à l'instant de l'épreuve (Hettinga et al., 2009).
L'utilisation de la stratégie « all-out » (a) est certainement la plus risquée puisque dans de nombreux cas la fatigue survient de façon précoce, entraînant une diminution importante de l'intensité et aboutissant à la réalisation d'une contre performance (Hulleman et al., 2007). Son utilisation nécessite donc un choix très précis de l'intensité de départ qui impose une maitrise parfaite du processus de régulation de la puissance.
La stratégie qui correspond à des variations de puissance durant l'épreuve laisse à penser que le sportif « subit » les variations de son niveau de stress physiologique. Elle est souvent observée chez les novices qui ne disposent pas de suffisamment d'expérience pour contrôler suffisamment leur allure et la mettre en adéquation avec la nature de l'exercice et leur niveau d'adaptations physiologiques et de fatigue.
La fatigue est en effet un paramètre important du processus de régulation de l'allure puisque l'enjeu de la régulation est de parvenir à ce que la fatigue n'entraîne pas de chute catastrophique de la performance avant la fin de l'épreuve (Hettinga et al., 2006).
Dans le contexte de l'étude des mécanismes de régulation de l'intensité d'exercice, utiliser les modèles de fatigue s'appuyant sur le paradigme « catastrophe » correspondrait à une approche purement mécanistique de l'homme en mouvement. Cela reviendrait à assimiler l'organisme à un système unique, physiologique, qui parviendrait à lui seul à faire en sorte que l'exercice soit régulé pour qu'aucune « catastrophe » ne survienne avant la fin de l'épreuve. Il semble évident qu'il s'agit d'un phénomène plus complexe dans lequel les fonctions mentales supérieures interviennent. C'est la raison pour laquelle tous les travaux récents s'intéressant au processus de régulation de l'allure s'appuient sur le modèle du gouverneur central. Les études menées permettent de vérifier que ce processus est efficace, mais pas de comprendre comment il fonctionne.
Les perceptions conscientes des changements physiologiques et les émotions induites durant l'exercice semblent être une piste intéressante à développer puisqu'elles correspondent au lien entre les réponses physiologiques et les fonctions mentales supérieures. Car c'est bien grâce à une connaissance intéroceptive développée qu'un athlète expert parvient à contrôler efficacement son allure lorsqu'il n'a pas de repères extéroceptifs utilisables comme des temps de passage. C'est encore cette connaissance intéroceptive qui est utile lorsqu'on se trouve dans des conditions physiologiques différentes de celles correspondant aux temps de passages optimaux, imaginés pour des conditions types et un niveau de forme donné. Dès lors que les conditions d'exercices sont différentes en terme de niveau de condition physique ou que la durée d'exercice ou les conditions environnementales sont différentes, et c'est ce qui se passe la plupart du temps lorsque l'on réalise un exercice physique, seule les repères intéroceptifs deviennent utilisables pour contrôler notre allure. C'est bien évidemment le cas également lorsqu'on décide d'aller faire une sortie vélo ou une randonnée en montagne alors qu'on s'entraîne en course à pied sur du plat habituellement. La connaissance intéroceptive est donc très importante dans la vie sportive ou quotidienne dès lors que l'on doit réaliser un exercice qui sorte des conditions d'une épreuve maximale non contrôlé.
Complément : Références
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St Clair Gibson, A., Lambert, E. V., Rauch, L. H., Tucker, R., Baden, D. A., Foster, C., et al. (2006). The role of information processing between the brain and peripheral physiological systems in pacing and perception of effort. Sports Med, 36(8), 705-722.
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van Ingen Schenau, G. J., de Koning, J. J., & de Groot, G. (1992). The distribution of anaerobic energy in 1000 and 4000 metre cycling bouts. Int J Sports Med, 13(6), 447-451.