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Le modèle du gouverneur central
Ulmer propose un modèle d'optimisation de la performance dans lequel la puissance musculaire est continuellement régulée par un contrôle intégratif du cerveau (Ulmer, 1996). D'après ce modèle, dit de « téléoanticipation », les signaux afférents, provenant au cerveau via les systèmes périphériques, sont comparés dans une « boite noire » centrale, préprogrammée en fonction de l'expérience des exercices antérieurs. La puissance délivrée serait influencée par la durée estimée d'exercice à effectuer.
S'appuyant sur ces travaux, Tim Noakes et ses collègues (Lambert et al., 2005; Noakes & St Clair Gibson, 2004; Noakes et al., 2004, 2005) ont proposé plus récemment le « Modèle du Gouverneur Central » (MGC) selon lequel tous les systèmes physiologiques seraient régulés de façon complexe afin de prévenir l'apparition d'une « catastrophe » irréversible avant la fin de l'exercice.
Selon ce modèle, les modifications physiologiques des systèmes périphériques sont autant de signaux afférents (c'est-à-dire arrivant au cerveau), modulant l'intensité d'exercice par le contrôle du système nerveux central (CNS) de façon dynamique et intégrative (Noakes & St Clair Gibson, 2004; Tucker et al., 2006). Le niveau de sollicitation métabolique, la quantité de réserves énergétiques, le niveau d'accumulation de chaleur, parmi d'autres nombreuses
variables, seraient intégrées et prises en considération de façon non consciente afin d'ajuster continuellement l'intensité d'exercice (Tucker et al., 2006) (figure 1).
Le cerveau contrôlerait l'intensité d'exercice à partir d'un algorithme décisionnel prenant en compte l'estimation de la durée d'effort restant et les conditions environnementales et
physiologiques pour fixer une stratégie spécifiquement adaptée à la nature de l'exercice (St
Clair Gibson et al., 2006). Le flux d'informations afférentes rendant possible cette régulation se produit durant la totalité de l'exercice, permettant un ajustement en fonction de l'évolution des conditions (St Clair Gibson et al., 2006). Selon cette théorie, si l'algorithme indique que l'intensité d'exercice est trop élevée pour que l'exercice puisse être maintenu jusqu'à l'arrivée, une diminution des commandes efférentes à destination des muscles actifs réduit la puissance délivrée et inversement. Ainsi, la puissance musculaire serait continuellement régulée de façon non consciente durant l'exercice par le biais d'une modulation du nombre d'unités motrices recrutées (Noakes et al., 2004) (figure 1).
Une part consciente de régulation de l'intensité est également identifiée dans ce modèle complexe (Lambert et al., 2005; Noakes et al., 2004, 2005). Quand l'exercice est poursuivi au delà de l'apparition de la fatigue, l'augmentation de la perception de l'effort (PE) réduirait progressivement le désir de poursuivre l'exercice, du moins à une intensité aussi élevée (figure 4). Ce processus conscient s'ajouterait donc aux mécanismes non conscients, permettant de réguler au mieux l'investissement (Noakes et al., 2005). La fatigue est donc envisagée non pas comme un simple événement physiologique mais également comme une sensation (St Clair Gibson et al., 2003) dont l'utilité est de protéger l'organisme, empêchant au sportif de produire un effort trop dangereux.
Contrairement à ce qu'on en dit souvent, le MGC n'est pas incompatible avec les observations scientifiques relatives aux réponses physiologiques mises en évidences par l'approche analytique classique. Il remet par contre en question l'implication directe de ces modifications dans l'arrêt de l'exercice. Il réfute la notion d'épuisement physiologique complet et revendique le maintien d'une réserve physiologique au moment de l'arrêt. Par son approche holistique, il permet de mettre en adéquation les observations scientifiques issues des domaines de la physiologie et de la psychologie du sport ainsi que les témoignages des sportifs. De nature téléologique, ce modèle envisage la fatigue comme un phénomène utile dont le but est la préservation de l'organisme au cours de l'exercice.
Le MGC est maintenant retenu par un nombre croissant d'auteurs pour expliquer les mécanismes de la fatigue au cours d'exercices de moyenne (Hettinga et al., 2006) à longue durée comme le marathon (Noakes, 2007). Depuis 2004, une soixantaine de travaux publiés dans des revues de haut rang scientifique développent ou s'appuient sur ce modèle.
Lors d'une étude réalisée à la puissance maximale d'état stable de la lactatémie jusqu'à épuisement, nous avons pu montrer que les réponses physiologiques observées étaient compatible avec le maintien d'une homéostasie physiologique partielle (Baron et al., 2008).
Si ces résultats ne permettent pas d'affirmer la validité du modèle du gouverneur central, ils sont compatibles avec celui-ci et réfutent la notion de « catastrophe » physiologique.
Complément : Références :
Baron, B., Noakes, T. D., Dekerle, J., Moullan, F., Robin, S., Matran, R., et al. (2008). Why does exercise terminate at the maximal lactate steady state intensity? Br J Sports Med, 42(10), 528-533.
Hettinga, F. J., De Koning, J. J., Broersen, F. T., Van Geffen, P., & Foster, C. (2006). Pacing strategy and the occurrence of fatigue in 4000-m cycling time trials. Med Sci Sports Exerc, 38(8), 1484-1491.
Lambert, E. V., St Clair Gibson, A., & Noakes, T. D. (2005). Complex systems model of fatigue: Integrative homoeostatic control of peripheral physiological systems during exercise in humans. Br J Sports Med, 39(1), 52-62.
Noakes, T. D. (2007). The central governor model of exercise regulation applied to the marathon. Sports Med, 37(4-5), 374-377.
Noakes, T. D., & St Clair Gibson, A. (2004). Logical limitations to the "catastrophe" models of fatigue during exercise in humans. Br J Sports Med, 38(5), 648-649.
Noakes, T. D., St Clair Gibson, A., & Lambert, E. V. (2004). From catastrophe to complexity: A novel model of integrative central neural regulation of effort and fatigue during exercise in humans. Br J Sports Med, 38(4), 511-514.
Noakes, T. D., St Clair Gibson, A., & Lambert, E. V. (2005). From catastrophe to complexity: A novel model of integrative central neural regulation of effort and fatigue during exercise in humans: Summary and conclusions. Br J Sports Med, 39(2), 120-124.
St Clair Gibson, A., Baden, D. A., Lambert, M. I., Lambert, E. V., Harley, Y. X., Hampson, D., et al. (2003). The conscious perception of the sensation of fatigue. Sports Med, 33(3), 167-176.
St Clair Gibson, A., Lambert, E. V., Rauch, L. H., Tucker, R., Baden, D. A., Foster, C., et al. (2006). The role of information processing between the brain and peripheral physiological systems in pacing and perception of effort. Sports Med, 36(8), 705-722.
Tucker, R., Bester, A., Lambert, E. V., Noakes, T. D., Vaughan, C. L., & St Clair Gibson, A. (2006). Non-random fluctuations in power output during self-paced exercise. Br J Sports Med, 40(11), 912-917; discussion 917.
Ulmer, H. V. (1996). Concept of an extracellular regulation of muscular metabolic rate during heavy exercise in humans by psychophysiological feedback. Experientia, 52(5), 416
420.