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1. Applications aux domaines de l'entraînement pour la performance et la santé
a) Quantification de la charge d'entraînement et prévention du surentraînement
Les sportifs et entraîneurs savent à quel point il est difficile de programmer correctement l'entraînement, c'est-à-dire d'imposer la charge d'entraînement en parfaite adéquation avec les réponses du sportif. Ainsi, la charge prescrite doit être suffisante pour induire les adaptations attendues et donc une progression du niveau de performance. Néanmoins, elle ne doit pas dépasser les capacités adaptatives du sportif sous peine d'induire un syndrome de surentraînement. Une marathonienne de haut niveau s'exprime ainsi cette difficulté : « Imaginez un funambule risquant de tomber. Cette image représente l'entraînement de haut niveau. C'est l'art de se maintenir aux frontières de la fatigue, sans jamais y tomber ». (Kazakova, 2007). Quand elle parle de fatigue ici, c'est bien d'une fatigue chronique dont il s'agit et donc d'un syndrome de surentraînement. Celui-ci correspond à une diminution des capacités de performance du sportif, souvent associée à la survenue de pathologies diverses telles que des infections et l'installation d'un syndrome dépressif (Budgett, 1998). Il est également appelé « syndrome de contreperformance » (Budgett et al., 2000) et peut être envisagé comme un mécanisme complexe anticipatoire permettant d'éviter le développement de dommages irréversibles (Lehmann et al., 1997).
Les scientifiques se sont attelés à mettre en place différentes méthodes pour dépister et, si possible, prévenir la survenue de ce syndrome très délétère pour la performance. Malheureusement, malgré l'utilisation de méthodes parfois sophistiquées comme la mesure des marqueurs neuroendocriniens, les sportifs et entraîneurs ne peuvent souvent déceler le surentraînement qu'une fois la performance affectée (Budgett, 1998; Rietjens et al., 2005)
La méthode reconnue pour être la plus sensible et permettant de dépister le surentraînement le plus précocement est celle qui consiste à prendre en compte l'évolution de la perception de l'effort durant l'entraînement (Foster, 1998; Rietjens et al., 2005) . Cela s'explique certainement par le fait que les systèmes physiologiques sont plus robustes (Rietjens et al., 2005) et sont affectés plus tardivement que les modifications de la perception de l'effort parallèlement observées (Budgett et al., 2000). Beaucoup de sportifs et d'entraîneurs s'accordent donc à penser qu' « il est important de marquer systématiquement sur un agenda la nature de ses efforts, avec des commentaires relatifs aux sensations » (Kazakova, 2007). L'utilisation d'échelles de perception de l'effort, plus précises, telles que la CR10 (Borg et al., 1981) ou l'échelle d'estimation subjective de l'intensité d'exercice (Grappe, 2005; Grappe et al., 1999), est recommandée. Elle peut servir à quantifier la charge de l'entraînement en multipliant la perception de l'effort durant la séance d'entraînement par la durée de la séance (Foster, 1998).
Mais les autres paramètres subjectifs tels que le plaisir et la motivation peuvent également être affectés. C'est pourquoi les questionnaires de dépistage de surentraînement tel que celui de la Société française de médecine du sport, ciblent ces paramètres. La quantification de la charge affective et de l'envie de sélectionner une intensité plus ou moins élevée durant l'exercice par l'intermédiaire d'échelles adaptées (Baron et al., 2011) peut être également envisagée afin d'améliorer la sensibilité du dépistage.
b) Planification de l'entraînement:
Puisque la majorité des connaissances sur la fatigue et les réponses à l'exercice proviennent de la physiologie, l'augmentation de la performance est recherchée par le biais d'une amélioration des réponses physiologiques. L'entraînement est donc construit et planifié dans ce but principalement. Les paramètres mesurés afin d'objectiver une progression et d'effectuer un suivi et une évaluation de l'entraînement correspondent donc à la performance « brute » (chronométrique pour les activités de fond et de demi-fond) ou à des indices physiologiques (la lactatémie, la fréquence cardiaque, la consommation d'oxygène). Cela est bien entendu nécessaire et important. Mais si à la fois les réponses physiologiques et perceptives influencent le choix de l'intensité et donc la performance (Baron et al., 2011), l'entraînement doit donc être psychologiquement adapté en plus d'être physiologiquement efficace. C'est une condition nécessaire à la réalisation d'une performance optimale qui dépend de l'ensemble des ressources psychophysiologiques. Puisque le syndrome de surentraînement influence plus précocement les perceptions associées à l'exercice que les réponses physiologiques (Budgett et al., 2000), une attention toute particulière devrait être accordée à la CA durant l'entraînement. En fait, puisque le cerveau a une part importante dans la régulation de l'allure et dans la performance, la planification de l'entraînement peut être envisagée également comme une « éducation mentale » et non comme ayant pour unique objectif d'améliorer les réponses physiologiques. Ainsi, si le modèle du gouverneur central est débattu par les scientifiques c'est parce que la majorité d'entre eux occultent le rôle des paramètres psychologiques dans la limitation de la performance. Ils font ainsi l'hypothèse que la motivation des sportifs de haut niveau est optimale et n'interfère pas dans la performance. C'est en tout cas de cette façon qu'ils justifient leur position et leur réticence quant à l'intérêt des modèles psychophysiologiques dans l'entraînement. Si cela peut être largement discuté pour une population de sportifs élites, il semble évident que la limitation psychologique ne devrait être négligée chez les sportifs optimiser leur santé.
De la même manière que l'entraînement est planifié afin d'améliorer la résistance à un stress physiologique plus important, il doit l'être également afin qu'une charge affective plus importante puisse être acceptée par le sportif. Les mêmes grands principes généraux de progressivité, de régularité et d'alternance de charge, utilisés afin d'améliorer les réponses physiologiques, peuvent être préconisés pour augmenter la tolérance à une charge affective importante et ainsi espérer une performance optimale. Mais des entraînements à des faibles charges affectives doivent également être prescrits afin de restaurer cette tolérance sous peine de démotivation importante et de surentraînement. En effet, on peut supposer que la charge affective des exercices précédents influence le niveau d'acceptation de la charge affective de l'exercice suivant (Baron et al., 2011) (figure 1). Si cette influence peut être positive, elle peut aussi être négative. Cela dépend des ressources motivationnelles sollicitées durant l'exercice, c'est-à-dire de la différence entre le niveau d'acceptation de la charge affective et celle imposée par la séance d'entraînement.
Pour une même charge affective, si le niveau d'acceptation de charge affective est augmenté par une prescription d'exercice adaptée lors des séances d'entraînement précédentes, la capacité à sélectionner une intensité importante sera augmentée et la performance meilleure. Mais le contraire est vrai également bien évidemment, expliquant qu'une contre performance puisse être d'ordre physiologique mais aussi psychologique. Ainsi, si un nombre trop important de séances correspond à une charge affective trop proche du niveau d'acceptation de charge affective, un surentraînement risque d'être induit. Si l'entraîneur ne ré-envisage l'entraînement en prescrivant des charge affective plus faibles, la motivation nécessaire pour supporter une charge affective importante diminuera et une période de moindre performance apparaitra par réaction anticipatoire afin de préserver l'organisme. Dans le cadre de séances prescrites dans un objectif de santé, la baisse de la motivation entraînera un désengagement des pratiquants, d'autant plus rapide que leur motivation est souvent fragile notamment en début de réentraînement. L'objectif de santé ne pourra donc pas être atteint. L'utilisation de la charge affective afin de planifier et de quantifier l'entraînement semble donc particulièrement importante. Elle a de plus un intérêt éducatif non négligeable qui permet de renforcer la conscience des changements physiologiques et ainsi d'accéder à la capacité de régulation de l'allure qui fait défaut chez les non experts.
c) Apprentissage de la capacité de gestion de l'allure :
Alors qu'elle est reconnue pour être un facteur important de la performance, aucune méthode d'entraînement ne vise pourtant à améliorer la capacité de régulation de l'allure qu'on laisse s'acquérir « d'elle-même » au cours de l'expérience du sportif (Buckley et al., 2004; Eston & Williams, 1988); (St Clair Gibson et al., 2006). Cette capacité se développe par la mise en place d'un “patron” d'intensité que le sportif est capable de soutenir pour une durée d'exercice donnée. L'enfance semble être la phase durant laquelle le sportif acquiert principalement ces stratégies (St Clair Gibson et al., 2001). Si elles s'avèrent être non optimales et qu'elles doivent être améliorées, cela nécessite beaucoup de temps et d'effort (St Clair Gibson & Foster, 2007). Il semble donc intéressant d'améliorer l'apprentissage de ces « patrons » par un travail spécifique durant cette phase.
Chez les sujets sédentaires ou les patients initiant un programme d'entraînement dans un objectif de santé, on peut très souvent observer une démotivation des pratiquants ou des patients du fait d'une mauvaise gestion de l'allure. Un travail spécifique visant à améliorer la capacité de réguler l'investissement dans l'effort en fonction de leurs propres capacités psychophysiologiques peut être suggéré afin de préserver la motivation à poursuivre le programme d'entraînement.
Chez les sujets sédentaires ou les patients initiant un programme d'entraînement dans un objectif de santé, on peut très souvent observer une démotivation des pratiquants ou des patients du fait d'une mauvaise gestion de l'allure. Un travail spécifique visant à améliorer la capacité de réguler l'investissement dans l'effort en fonction de leurs propres capacités psychophysiologiques peut être suggéré afin de préserver la motivation à poursuivre le programme d'entraînement.
Complément : Références
Baron, B., Moullan, F., Deruelle, F., & Noakes, T. D. (2011). The role of emotions on pacing strategies and performance in middle and long duration sport events. Br J Sports Med, 45(6), 511-517.
Borg, G., Holmgren, A., & Lindblad, I. (1981). Quantitative evaluation of chest pain. Acta Med Scand Suppl, 644, 43-45.
Buckley, J. P., Sim, J., Eston, R. G., Hession, R., & Fox, R. (2004). Reliability and validity of measures taken during the chester step test to predict aerobic power and to prescribe aerobic exercise. Br J Sports Med, 38(2), 197-205.
Budgett, R. (1998). Fatigue and underperformance in athletes: The overtraining syndrome. Br J Sports Med, 32(2), 107-110.
Budgett, R., Newsholme, E., Lehmann, M., Sharp, C., Jones, D., Peto, T., et al. (2000). Redefining the overtraining syndrome as the unexplained underperformance syndrome. Br J Sports Med, 34(1), 67-68.
Eston, R. G., & Williams, J. G. (1988). Reliability of ratings of perceived effort regulation of exercise intensity. Br J Sports Med, 22(4), 153-155.
Foster, C. (1998). Monitoring training in athletes with reference to overtraining syndrome. Med Sci Sports Exerc, 30(7), 1164-1168.
Grappe, F. (2005). Cyclisme et optimisation de la performance: deBoeck.
Grappe, F., Groslambert, A., & Rouillon, J. D. (1999). Quantification des charges d'entraînement en cyclisme en fonction d'une échelle d'estimation subjective de l'intensité de l'exercice (échelle d'esie). Paper presented at the VIII Congrès International de l'ACAPS, Macolin, Suisse.
Kazakova, I. (2007). L'équation "distance-fatigue". Running attitude, Hors série entraînement, 45.
Lehmann, M. J., Lormes, W., Opitz-Gress, A., Steinacker, J. M., Netzer, N., Foster, C., et al. (1997). Training and overtraining: An overview and experimental results in endurance sports. J Sports Med Phys Fitness, 37(1), 7-17.
Rietjens, G. J., Kuipers, H., Adam, J. J., Saris, W. H., van Breda, E., van Hamont, D., et al. (2005). Physiological, biochemical and psychological markers of strenuous traininginduced fatigue. Int J Sports Med, 26(1), 16-26.
St Clair Gibson, A., & Foster, C. (2007). The role of self-talk in the awareness of physiological state and physical performance. Sports Med, 37(12), 1029-1044.
St Clair Gibson, A., Lambert, E. V., Rauch, L. H., Tucker, R., Baden, D. A., Foster, C., et al. (2006). The role of information processing between the brain and peripheral physiological systems in pacing and perception of effort. Sports Med, 36(8), 705-722.
St Clair Gibson, A., Lambert, M. L., & Noakes, T. D. (2001). Neural control of force output during maximal and submaximal exercise. Sports Med, 31(9), 637-650.