Introduction aux discours coloniaux

Des différences de l'Autre ou l'Autre n'est pas toujours le même

On aurait tort de penser que tous les indigènes se ressemblent, et surtout, dans une perspective coloniale, se valent.

On peut même considérer qu'il s'agit d'une constante du discours colonial que d'opérer des comparaisons entre les indigènes.

Cette manie de la comparaison s'exerce à deux niveaux : au niveau planétaire, les colonies ne se ressemblent pas, dans la mesure où y vivent des populations dissemblables par leur histoire et par les mœurs de leurs habitants. Au niveau plus précis d'un territoire colonial, qu'il s'agisse de l'Algérie, l'Indochine ou de Madagascar, on trouvera toujours à repérer des différences qui sont la marque d'une bonne connaissance de l'élément indigène, et, partant, de la manière de traiter avec lui.

Des différentes colonies et de leurs habitants

  1. Dans un roman de Jean d'Esme datant de 1933, nous pouvons assister à la conversation, dans un compartiment de chemin de fer qui les conduit vers Yaoundé, entre un colon et deux voyageurs venus chasser en Afrique :

— Louis Ranois, colon, dit-il en inclinant sa lourde tête.

A son tour Georges Ambart-Duhal procéda aux présentations rituelles :

— Georges Ambart-Duhal ; ma femme, mademoiselle Sanchérez, ma belle-soeur..., venus en Afrique pour une tournée de grand tourisme et de chasse au gros gibier.

Le colon les considéra sans étonnement.

— Un magnifique pays, dit-il, et qui vaut la peine qu'on le connaisse mieux que par les vagues racontars et les récits fantaisistes qu'on lui consacre habituellement.

Il sourit paisiblement.

— C'est la première fois que vous venez en Afrique? demanda-t-il ensuite.

— Oui, dit Georges, mais nous avons déjà couru le monde un peu dans tous les sens. Il y a deux ans nous étions en Indochine.

Le gros homme fit circuler son étui à cigarette. Le compartiment s'emplit de fumée bleue.

— Connais pas, mais j'imagine d'après ce que j'en ai entendu dire que ce doit être quelque chose d'assez différent...

— Tout à fait, dit Georges ; dès Dakar et Conakry, nous nous en sommes aperçus. Ce sont deux terres, deux civilisations et deux races nettement opposées.

Ranois eut un sourire sceptique.

— Vous voulez dire que d'un côté, là-bas, en Asie, il y a une race et une civilisation, tandis qu'ici, en Afrique noire...

Il haussa les épaules.

— C'est d'ailleurs ce qui vous intéressera : l'absence totale de civilisation parmi une poussière de peuplades qui en sont restées au premier stade de l'humanité! Soyez sans crainte, si vous êtes en quête d'étrangetés, vous en découvrirez ici tout autant que vous en désirerez vous allez retrouver la vie primitive, celle des temps préhistoriques presque ( p. 12-13[1]).

Dialogue typique du « personnel colonial » dont on trouverait maints exemples dans les romans coloniaux : les voyageurs, des touristes, ont fait le tour des colonies ; le colon, lui, n'a jamais navigué qu'entre la métropole et son pays d'adoption. Ses jugements sont abrupts : il y a d'un côté les pays anciennement civilisés, et de l'autre l'Afrique noire, pays de la sauvagerie et de l'absence de toute civilisation.

Illustration de l'ouvrage de FrobeniusInformationsInformations[2]

Ce passage de roman donne un éclairage supplémentaire et utile au succès qu'a pu avoir, auprès des  « chantres de la négritude » (Senghor, Césaire, Damas, Rabemananjara) l'ouvrage contemporain de Leo Frobenius sur les civilisations africaines[3] censé remettre en cause les idées reçues sur la rusticité africaine face aux pays de vielles civilisations que seraient les colonies asiatiques.

La rapidité avec laquelle l'ouvrage est traduit, montre déjà à quel point la situation particulière de l'Afrique par rapport aux autres colonies est un problème pour le colonisateur. De nombreux textes en font état.

On sait que l'idée selon laquelle l'Afrique, à la différence des autres parties du monde, serait un continent privé d'Histoire, se trouve chez Hegel. Elle est reprise et extrapolée par Victor Hugo qui s'exclame, lors d'un banquet qui s'est tenu à l'occasion de la commémoration de l'abolition de l'esclavage :

Quelle terre que cette Afrique ! L'Asie a son histoire, l’Amérique a son histoire, l’Australie elle-même a son histoire, qui date de son commencement dans la mémoire humaine ; l'Afrique n'a pas d'histoire; une sorte de légende vaste et obscure l’enveloppe. Rome l’a touchée pour la supprimer ; et, quand elle s'est crue délivrée de l'Afrique, Rome a jeté sur cette morte immense une de ces épithètes qui ne se traduisent pas : Africa portentosa [prodigieuse, monstrueuse]. C'est plus et moins que le prodige. C'est ce qui est absolu dans l'horreur. Le flamboiement tropical en effet, c’est l'Afrique. Il semble que voir l'Afrique, ce soit être aveuglé. Un excès de soleil est un excès de nuit. Eh bien, cet effroi va disparaître ( p. 1010[4])

Dès avant Frobenius, cependant, des auteurs avaient exprimé leurs réserves vis-à-vis d'une conception de l'Afrique un peu trop simplificatrice. C'est ainsi que l'armateur Jules Charles-Roux, initiateur de la Collection des ouvrages anciens concernant Madagascar, avait dès 1903 suggéré que des études et des publications fussent entreprises dans cette perspective :

Je sais bien que certaines de nos colonies de la côte Occidentale de l'Afrique sont réputées n'avoir pas d'histoire, n'être, pour ainsi dire, sorties de la barbarie qu'au moment où nous y avons planté notre drapeau. Il me semble cependant que, si l'on pouvait faire des recherches dans les Facultés musulmanes (les Zaouïas), on y trouverait peut-être des renseignements de nature à modifier cette légende. Au point de vue historique, comme à beaucoup d'autres, la mystérieuse Afrique nous réserve des surprises et contient certainement encore des secrets intéressants à dévoiler ( Tome I, p. VIII[5]).

Marius-Ary Leblond, dans un article paru dans la Revue de Paris en 1906, rappellent :

En Afrique, dans le pays originaire des Noirs, on oublie qu'il y eut de réelles et même de grandes civilisations noires ( p. 109[6]).

et de rejeter avec force les affirmations de Renan sur l'impossible perfectionnement des Noirs et leur position foncièrement à part sur la carte de l'évolution humaine ( p. 107[6]).

Des différences des indigènes au sein d'une même colonie

De la physiologie à l'ethnologie

Suivons attentivement cette description d'Auguste Billiard qui compare, dans le sud-ouest de l'océan Indien, les Cafres et les Malgaches, lors de son voyage qui a eu lieu de 1817 à 1820 :

L'angle facial du Malgache est, à peu de chose près, aussi droit que celui de l'Européen ; son nez ne s'écrase point comme celui du Cafre, il est ordinairement aquilin ; quoique les lèvres soient généralement épaisses, on en voit d'une grande finesse et d'une juste proportion ; l'œil est moins à fleur de tête, le regard plus pénétrant, le front plus étendu, le cerveau plus volumineux que chez l'Africain du continent.

Celui-ci est noir comme l'ébène, il a peu de barbe, ses cheveux sont d'une laine crépue : le Malgache a la barbe plus fournie, les cheveux longs et droits ; sa peau est d'un noir olivâtre ou cuivré ; tout décèle en lui une origine indienne ou arabe. Il est aisé de s'apercevoir que les peuples de la mer Rouge, d'approche en approche, sont venus former des établissements à Madagascar ; il est probable que les émigrations d'Arabes sont de la plus haute antiquité ; elles auront continué [...]

La division des habitants en trois classes ayant une prééminence marquée les unes au-dessus des autres donne lieu de croire à des invasions successives. Cela est d'autant plus probable, qu'il y a des différences de physionomie entre les hommes de diverse condition : ceux de la classe inférieure ont généralement plus de ressemblance avec la race pure des Africains qui auront dû être les premiers peuples de l'île, si cette terre n'a pas toujours été séparée du continent. Toutes ces races se sont plus ou moins croisées par le passage volontaire ou forcé de l'une à l'autre condition : l'enfant d'une Cafrine et d'un Malgache arabe me rappelle d'une manière frappante la figure égyptienne telle que nous la reproduisent les plus anciens monuments. Les noirs qui proviennent de semblables alliances sont doux, patients et laborieux.

Ces aperçus ne tendent qu'à expliquer la supériorité des Madécasses sur les autres Africains [...]. Une servitude morale ou réelle naîtra toujours avec les colonies que formeront les Européens, lorsqu'ils s'établiront dans un pays dont les peuples ne pourront parvenir à les atteindre. La supériorité naturelle de la force ou des lumières est un avantage qu'on ne saurait céder. Sans doute les leçons des Européens, s'il en peut être d'assez généreux pour les donner sans orgueil et sans intérêt, seront utiles au sauvage que la nature a le plus disgracié ; mais dans la crainte d'abuser de sa supériorité, il me semblera toujours préférable de porter ses lumières aux lieux où elles trouveront le moins d'obstacle pour se communiquer ( p. 307 à 311[7]).

Le message d'Auguste Billiard s'inscrit dans un double contexte : d'une part, les travaux (contemporains) d'un Cuvier qui prétend démontrer l'inégalité des races à partir d'une différence purement physiologique, celle qui concerne le volume du cerveau. D'autre part, la perspective d'une expansion coloniale qui devrait s'appuyer sur les races les plus évoluées, exactement comme les missionnaires savaient adapter leur projet de conversion sur la structure existante de sociétés inégalement avancées dans leur mode de fonctionnement.

Incontestablement, Billiard considère d'une part que la hiérarchie des races indigènes s'explique par des caractéristiques physiologiques, et d'autre part que les dites races ne sont pas également aptes à bénéficier des « lumières » que les Européens sont susceptibles de leur apporter.

Précisons : ceux que Billiard appelle les « Madécasses » sont plus précisément les habitants des hauts plateaux, les Merina. Pour lui, ces Madécasses viennent d'Indonésie, c'est-à-dire d'Asie, et ils font partie, avec les Arabes, des populations qui ont migré vers l'Afrique et qui se sont métissées avec les populations locales. Il y aurait donc une infériorité à la fois culturelle et biologique des Cafres, c'est-à-dire des Africains, par rapport aux populations asiatiques et arabe. Comme on voit, les Africains sont non seulement privés d'Histoire, mais encore d'une notable partie de leur cerveau, ainsi que de leurs perspectives d'avancement dans la hiérarchie de la civilisation — à moins d'en passer par une promotion par le métissage.

Il n'échappe pas aux lecteurs de Billiard que cette échelle de valeur physiologique tend à poser que le physique européen constitue le nec plus ultra de l'angle facial, indicateur d'un haut degré d'évolution. On retrouve ici un discours déjà présent dans l'Encyclopédie et qui consiste à attribuer aux traits de la physionomie une prime par rapport à la couleur de la peau. Les Européens se trouvent bénéficier d'une double supériorité : celle de la couleur de la peau et celle de la qualité des cheveux et du dessin des traits du visage.

Le couronnement de Ranavalona III, photo de Louis CatatInformationsInformations[8]

Cinquante ans plus tard, le docteur Catat, dans son Voyage à Madagascar[9], ne cessera de contester ce qu'il appelle la prétendue supériorité des Merina (qu'il appelle les Imerina) sur les habitants des côtes. Pourquoi ? Parce que Catat est un partisan de l'annexion pure et simple de Madagascar.

En effet, à la veille de l'expédition de Madagascar (1895) les colonialistes sont divisés : les uns, proches du Comité de Madagascar, sont partisans d'un protectorat renforcé (il y a déjà, entre la France et Madagascar, depuis 1885, un traité qui, sans en porter nommément le titre, équivaut à un traité de protectorat), les autres partisans d'une annexion qui fasse de Madagascar une colonie française en abolissant la monarchie merina.

Depuis le début du XIXe siècle, les Mérina ont unifié une grande part du territoire malgache. De fait, les Français les reconnaissent — du moins reconnaissent leur gouvernement comme étant le gouvernement légal de Madagascar puisque c'est la reine merina qui a signé le traité de 1885. Un protectorat bien conçu consisterait à s'appuyer sur l'administration merina, comme les Anglais utilisaient aux Indes les pouvoirs des Maharadjahs.

Catat, chargé par le ministère de l'Instruction publique d'une mission scientifique ( p. 1[9]), ne laisse pas d'étendre ses considérations à des questions qui relèvent de la politique coloniale (ce qui n'a d'ailleurs rien de très surprenant), et considère pour sa part que les Français n'ont rien à attendre des Merina dont l'autorité sur l'ensemble du territoire lui paraît contestable. Les Merina de Catat perdront donc tout bénéfice de couleur et d'harmonie physionomique. Ce sur quoi l'auteur du Voyage à Madagascar va mettre l'accent, ce ne sont plus les critères de race au sens biologique du terme mais bien des caractéristiques d'ordre ethnologique renvoyant à des variations d'ordre psychologique, sociologique ou culturel : pour Catat, les Merina sont fourbes, menteurs, etc., et la clarté de leur peau, la régularité de leurs traits, voire leur intelligence, ne joue pas en leur faveur.

Un principe général

ExempleComme il faut se méfier des préjugés ...

Dans la nouvelle de Jules Boissière, « Les génies du mont Tan-Vien », Ferrier, chef de poste au Tonkin, a son opinion bien arrêtée sur les Thôs et sur les Annamites, son opinion fût-elle en contradiction avec celle des autres Européens. C'est que ce petit gars du Calvados connaît bien les indigènes au milieu desquels il vit depuis huit ans. Il est d'ailleurs marié avec une Annamite dont il a un enfant.

D'instinct il se défiait — pas assez! — des vingt Thôs balourds. De grossiers montagnards, ceux-là, qu'à les juger sur la mine on prendrait pour d'éternels ahuris, lents à se mouvoir, la bouche toujours entr'ouverte ; des janots de village. Plus grands. plus forts, plus lourds de chair, de charpente et d'esprit que les hommes du DeIta. Ni bavards, ni expansifs, ni flatteurs ; incapables d 'oublier, comme de pardonner, une injure ; farouchement fermés, dans uu silence têtu, devant le chef qui, une seule fois, fut injuste. — Et, pour tout cela, accusés de sournoiserie, déplaisants aux yeux de l'Européen, qui leur préfère l'Annamite moins loyal qu'eux, à coup sûr, moins honnête, mais plus ouvert, plus parleur, livré au premier venu ; l'Annamite, à la sympathie facile et immédiate, qui accostera un voyageur de passage dans le village pour lui proposer amitié, parce que la figure de l'inconnu lui revient ; l'Annamite, volontiers câlin, caressant, flagorneur ; et de plus, — il faut bien le dire ! —d'intelligence supérieure : les montagnards eux-mêmes le confessent ( p. 154-155[10]).

Pourtant, ce sont bien les Thôs qui, après la prise du poste par des pirates, vont, ces montagnards balourds, écraser la tête de l'enfant de Ferrier, éventrer sa femme, et pour finir lui couper les mains, les pieds, les oreilles et le nez.

Ce qui est vrai des Merina par opposition aux « côtiers » comme on dit couramment aujourd'hui à Madagascar, se retrouve dans toutes les colonies, tant françaises que britanniques ou belges. Les indigènes ne se valent pas tous, ils ne constituent pas une masse indifférenciée, — pas plus que les Européens, d'ailleurs.

Les Tutsis sont jugés plus fins que les Hutus, les Berbères plus occidentaux que les Arabes ( Zoos humains[11] , p. 143 et 149), les Wolofs supérieurs aux Mandingues (ibid, p. 202), etc. Voici quelques portraits d'indigènes que l'on pourra découvrir dans le livre de Jules Gros, Nos explorateurs en Afrique[12] :

Les Touaregs, que M. Henri Duveyrier est allé étudier dans leurs agrestes demeures ou dans leur vie nomade au milieu du désert, sont généralement grands et bien faits, maigres, secs, nerveux; leurs muscles semblent être des ressorts d'acier. Leur peau est blanche dans l'enfance, mais le soleil ne tarde pas à leur donner la teinte bronzée spéciale aux habitants des tropiques. Leur figure a le type caucasique.

Les femmes, grandes aussi, ont le port altier et sont généralement belles; leur physionomie les rapproche beaucoup plus des femmes européennes que des femmes arabes (p.14)

Il ne faudrait pas conclure de ces mœurs sauvages et féroces à l'infériorité de la race nègre qui habite cette partie de l'Afrique occidentale [le Soudan occidental]. Les noirs sont des peuples civilisables; ce sont des hommes grands et beaux, aux traits caucasiques et dépourvus du prognatisme qui caractérise les races nègres de certains points de l'Afrique occidentale et de l'Afrique du centre. Ils ont eu déjà assez d'intelligence et de force pour franchir deux degrés de l'humanité : ils ne sont plus chasseurs comme les Indiens d'Amérique, ni pasteurs comme les Arabes, mais ils en sont arrivés à ce point de civilisation où un peuple demande aux arts et à l'industrie les moyens de vivre  ; il faudrait donc peu de chose pour faire gravir à ces hommes les degrés qui les séparent de nous dans l'échelle de la civilisation (p. 38-39).

On a vu que le début du XIXe siècle, dans sa description et sa hiérarchisation des races était plutôt tourné vers la physiologie ; avec le développement de l'ethnologie à la fin du XIXe siècle, il se tournera davantage vers les différences de mœurs, de culture et de caractère. Cependant, bien des appréciations des voyageurs et des coloniaux tendent à prendre dans les deux options les outils susceptibles de les aider à caractériser les races.

Les historiens contemporains ont souvent dit (sans toujours savoir que ce propos s'est trouvé tenu par bien des coloniaux) que le pointage des différences raciales entre indigènes était un moyen de « diviser pour mieux régner ». La formule est ambiguë : l'infinitif pourrait laisser entendre que la division est créée de toutes pièces par le colonisateur, ce qui est lui prêter plus de pouvoir qu'il n'en a eu. Mais certainement, les divisions préexistantes pouvaient être exploitées.

Les divisions ou simplement les différences. On sait combien les colons des îles étaient attentifs à l'origine de leurs esclaves, ou des engagés avec lesquels ils signaient des contrats. Une parfaite superposition s'opère ici entre les conclusions ethnologiques concluant aux différences et aux distinctions ethnographiques, et les choix formulés par les colons ou les administrateurs en fonction des travaux à effectuer des tâches à confier aux colonisés et plus généralement de l'organisation même du pays colonisé.

Exemple

On doit construire, il faut construire, dans la nouvelle colonie de Madagascar, qui se caractérise par sa vastitude, des chemins de fer. Où les construire, à partir de quelles nécessités, pour remplir quels buts, et de quoi faut-il tenir compte ?

Il existe, à l'intérieur de l'île, peut-on lire dans la Revue de Madagascar en 1900, deux centres importants de population: l'Imérina et le Betsiléo, dont les habitants sont supérieurs aux autres indigènes par le nombre, l'intelligence et l'activité.

Rien d'étonnant donc à ce que les chemins de fer en présence desquels nous mettent les vœux de la colonisation soient ceux qui partent de ces ports pour aboutir à Tananarive [la capitale, sur le plateau central] et à Fianarantsoa [qui se trouve à moins de trois cents kilomètres au sud de Tananarive] ( p. 3-4[14]).

On pourrait certes objecter à l'auteur que Tananarive étant la capitale de Madagascar, il peut sembler aller de soi que le chemin de fer joigne cette capitale à un port. Que même si la capitale en question pourrait fort bien être déplacée (il en a d'ailleurs été question) dans la mesure où l'annexion a remis en cause toutes les structures politiques et administratives qui précédaient, Tananarive n'en restait pas moins la ville la plus importante et la plus riche en traditions historiques. Ce qui est intéressant ce n'est donc pas de savoir jusqu'à quel point l'argumentation de notre auteur est pertinente, mais bien de le voir redistribuer les cartes en fonction de critères ethnologiques reconvertis en critères de hiérarchie raciale ou du moins ethnique.

RemarqueLa paix par la division

Pour Sudel Fuma, la différenciation de l'origine des esclaves pouvait aussi constituer un avantage relevant du fameux argument : diviser pour mieux régner. Ce serait risquer cependant de prendre l'effet pour la cause que de voir dans la diversification des origines des esclaves uniquement une volonté de maintien de l'ordre :

L'originalité de la population esclave de Bourbon réside dans sa diversité ethnique. La population servile n'a jamais formé un corps racial cohérent, les colons ayant eu la précaution de diversifier le recrutement de leurs esclaves pour prévenir les risques de rébellion de la main-d'oeuvre asservie. Ce principe quasi doctrinal pour les colons de Bourbon a beaucoup contribué à la tranquillité du pays. Ainsi les Indiens et Malais ne s'entendent pas avec les Cafres et Malgaches, considérés comme des races inférieures. De même, les esclaves créoles, nés dans l'île, n'entretiennent aucune relation avec les esclaves nouvellement arrivés. Cette mésentente raciale s'explique par la différence de culture d'origine et les difficultés de communication culturelle entre les différents groupes asservis ( p. 36[15])

  1. Esme 1933

    Esme, Jean d', La Terre du jour, Paris, Ed. de la Nouvelle revue critique, 1933, 249 p.

  2. Frobenius, Leo, Histoire de la civilisation africaine [Kulturgeschichte Afrikas (Zürich 1933)]. 4. éd. ed, Paris, Gallimard, 1936, 370 p.

  3. Frobenius 1936

    Frobenius, Leo, Histoire de la civilisation africaine [Kulturgeschichte Afrikas (Zürich 1933)], Paris, Gallimard, 1936, 370 p.

  4. Hugo [1879]

    Hugo, Victor, "Discours sur l'Afrique (18 mai 1879)" dans Œuvres complètes. Politique, Paris, R. Laffont, 1985, p. 1012 et suiv.

  5. Grandidier [1903-1920]

    Grandidier, Alfred et Charles-Roux, Jules, Collection des ouvrages anciens concernant Madagascar, 9 vols, Paris, Comité de Madagascar, 1903-1920.

  6. Leblond 1906

    Leblond, Marius-Ary, "La race inférieure", Revue de Paris, vol. 1906-IV, p. 104-30.

  7. Billiard [1822]

    Billiard, Auguste, et Montalivet, Jean-Pierre Bachasson, Voyage aux colonies orientales, ou, Lettres écrites des îles de France et de Bourbon pendant les années 1817, 1818, 1819 et 1820, à M. le cte de Montalivet, pair de France, ancien ministre de l'intérieur, etc, Paris, Librairie française de l'Advocat, 1822.

  8. Favrod, Charles-Henri, Le Temps des colonies, Lausanne ; Paris, Favre, 2005, 160 p. Photographie de Louis Catat, Couronnement de la reine Ranavalona III, Tananarive, 1883 Licence : Domaine Public

  9. Catat 1895

    Catat, Docteur Louis, Voyage à Madagascar (1889-1890), Paris, Hachette, 1895, 450 p.

  10. Boissière 1925

    Boissière, Jules, Fumeurs d'opium (1896), Paris, V. Rasmussen, 1925, 315 p.

  11. Bancel 2002

    Bancel, Nicolas, Zoos humains, XIXe et XXe siècles, Paris, Découverte, coll. Textes à l'appui. Série Histoire contemporaine, 2002, 479 p.

  12. Gros [1893]

    Gros, Jules, Nos explorateurs en Afrique (1888), Paris, A. Picard et Kaan, coll. Bibliothèque coloniale et de voyages, 1893, 288 p.

  13. Porteur. Illustrations du Voyage à Madagascar du Docteur Louis Catat (1895) Licence : Domaine Public

  14. Revue de Madagascar 1900

    Revue de Madagascar, Paris, Comité de Madagascar, année 1900.

  15. Fuma 1992

    Fuma, Sudel, L'Esclavagisme à La Réunion, 1794-1848, Paris /Saint-Denis, L'Harmattan/Université de La Réunion, 1992, 191 p.

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