Introduction aux discours coloniaux

Les expositions coloniales

Paris a connu quatre expositions universelles dans la seconde moitié du XIXe siècle : 1867, 1878, 1889 et 1900 (voir BnF[1]). Pour l'exposition universelle de 1900, le Ministère des colonies va insérer des bâtiments coloniaux qui préfigurent ce que seront les futures expositions coloniales.

Exposition coloniale de Marseille (1916)InformationsInformations[2]

La première a lieu à Marseille, en 1906. Elle est également l'occasion de la tenue d'un congrès, dont les conclusions[3] sont publiées en quatre volumes, de plus de 2000 pages au total, sous la direction de Jules Charles-Roux. La lecture de la table des matières de cette publication en dit long sur la manière dont sont classifiés les éléments de la propagande coloniale de l'époque.

ComplémentTable des matières du Compte rendu des travaux du Congrès colonial de Marseille de 1906

Le tome 1 offre une introduction générale à la colonisation : "Origines. — Histoire. — Peuplement. — Colonisation militaire. Utilisation des indigènes (au point de vue militaire. — Législation".

Tome 2 : Régime économique des Colonies. Commerce. Marine. Réglementation du Travail. — Justice. Magistrats. — Questions indigènes.

Tome 3 : Travaux publics. — Médecine et hygiène

Tome 4 : Cultures et productions des Colonies. Élevage. — Forêts coloniales.

On voit que, dès 1906, l'ensemble des préoccupations qui vont occuper la pratique coloniale jusqu'aux indépendances (et au-delà) est bien prise en compte. Chaque section fait l'objet de conférences, l'idée générale n'étant pas de théoriser, mais bien de s'appuyer sur des expériences d'administrateurs, de militaires, de colons ou de commerçants, et aussi d'attirer des capitaux et des colons. En contre-point à la vitrine de l'exposition, mais participant du même but, "faire connaître nos colonies", ces conférences ne sont pas simplement des éloges du fait colonial dépourvues de toute lucidité :

Quelque pacifique qu'ait été notre établissement en Tunisie, déclare par exemple de Dianous, le développement de la colonisation n'a pu se faire sans occasionner des froissements : nombreux, ayant apporté en ce pays des capitaux importants, nos compatriotes se sentent chez eux, en dépit de la fiction du Protectorat. Les propriétaires ruraux vivent souvent isolés, loin de toute autorité française, victimes de petits délits ruraux, dont la répétition emporte une perte qui n'est pas toujours négligeable, et des froissements d'amour-propre plus insupportables à un Français que la perte elle-même. Si le colon manque parfois de sang-froid et de patience, l'indigène musulman, de son côté, se croit fréquemment autorisé par aberration religieuse à mépriser toute idée et toute personne étrangères à sa morale et à sa foi [...] Cette situation peut-elle se modifier? Comment et dans quelle mesure? Écartons tout d'abord comme chimérique toute idée de fusion des deux groupes ( tome 2 p. 453[3]).

Comme on voit, la politique arabe de Napoléon III a fait long feu, ainsi que la doctrine de l'assimilation aux yeux de l'orateur. Sa conclusion est que seules les bases économiques sont susceptibles de réconcilier, et sur ces bases seulement, dans un intérêt mutuel (acquisition de main d'œuvre d'un côté, obtention de meilleures conditions de vie de l'autre) les Arabes et les colons, du moins dans la perspective d'une coexistence pacifique.

Une autre exposition d'importance comparable aura lieu à Marseille en 1922. Mais c'est l'exposition parisienne de 1931 qui reste le fleuron des expositions coloniales, et qui fait l'objet des plus nombreux commentaires. Confiée au commissariat du très célèbre et très populaire Lyautey, elle accueille plus de vingt millions de visiteurs, occupe une surface considérable, au bois de Vincennes, lieu choisi par Lyautey pour des raisons sociales ( Lagana[4], p. 152) dans l'est de Paris. Elle est inaugurée le 6 mai 1931, en présence du président de la République Paul Doumergue, par le ministre des Colonies, Paul Reynaud, dont le discours est en lui-même une prouesse technique, puisqu'il est diffusé sur les ondes de la radio jusque vers les colonies les plus lointaines :

La colonisation est le plus grand fait de l'Histoire. Est-il vrai que nous célébrions aujourd'hui une apothéose qui soit proche d'une décadence ? Jamais, chez nous, l'élan de la pensée et son jaillissement n'ont été plus puissants qu'aujourd'hui. A cette minute, grâce au poste de [radio de] Pontoise, inauguré hier, le son de la voix que vous entendez est écouté à Nouméa, à Hanoï, à Dakar, à Fort-de-France. Notre emprise sur le monde se resserre chaque jour. Notre idéal est tellement vivant que ce sont les idées d'Europe qui donnent aujourd'hui la fièvre en Asie. Beaucoup pensaient qu'étendre la puissance française dans le monde, c'était la diluer, l'affaiblir, la rendre moins apte à conjurer un péril toujours menaçant. Mais, aux jours tragiques, les colonies vinrent se placer aux côtés de la Mère patrie et l'union de notre Empire se fit à l'épreuve de la douleur du sang. A côté de nos vieilles colonies, ces bijoux de famille égrenés dans l'Atlantique et dans l'océan Indien, c'est la France africaine, grande comme l'Europe [...]. " Paul REYNAUD - ministre des Colonies - Discours inaugural de l'Exposition coloniale - 6 mai 1931.

Le Petit Journal illustréInformationsInformations[5]

Avec l'exposition, est inauguré le musée des Colonies, construit de manière pérenne. Ce qui fait la particularité de cette exposition (pour la première fois internationale mais sans l'Angleterre), c'est qu'au delà des informations économiques offertes aux milieux d'affaires, et aux informations utiles aux futurs candidats à l'émigration, elle offre des attractions susceptibles d'entraîner l'adhésion d'un public populaire : la reconstitution du temple d'Angkor en grandeur nature, des spectacles, des expositions de peinture, des concerts, et des reconstitutions de villages avec des figurants de toutes provenance, destinées à mettre en spectacle la vie des indigènes outre-mer, spectacles de danse, folklore ... Les historiens ne sont pas toujours d'accord sur le nombre de visiteurs : de huit à plus de trente millions, selon que l'on compte le nombre de tickets vendus, ou si l'on estime le nombre réel de personnes qui se sont déplacées une ou plusieurs fois. Qu'importe, c'est la plus réussie des opérations de propagande coloniale, et même une réussite financière, l'exposition ayant dégagé des bénéfices (voir Hodeir[6], p. 29).

Document vidéo : Document INA : Visite de l'exposition coloniale par le président Doumergue (muet).

Inauguration de l'exposition coloniale de 1931InformationsInformations[7]
  1. BNF, [2005]

    Bibliothèque nationale de France, Les expositions universelles à Paris 1867-1900, 2005, http://expositions.bnf.fr/universelles/index.htm, consulté le 22 août 2009.

  2. 12-10-13, Marseille, arrivée du président à l'exposition [au Prado, site de l'exposition coloniale de 1916] : [photographie de presse] / [Agence Rol] Source : Bibliothèque nationale de France (BnF) Gallica Licence : Domaine Public

  3. Depince [1908]

    Depincé, Charles, Compte rendu des travaux du Congrès colonial de Marseille, publié sous la direction de M. J. Charles-Roux, 4 vols, Paris, A. Challamel, 1908.

  4. Lagana [1990]

    Lagana, Marc, Le Parti colonial français, Québec, Presses universitaires du Québec, 1990, 200 p.

  5. Le Petit Journal illustré, 26 juillet 1931, couverture : Le pavillon belge de l'exposition coloniale

  6. Hodeir [1991]

    Hodeir, Catherine, et Pierre, Michel, 1931, l'exposition coloniale, Bruxelles, Editions Complexe, coll. La mémoire du siècle (58), 1991, 159 p.

  7. INA. LE PRÉSIDENT DOUMERGUE INAUGURE L'EXPOSITION COLONIALE (MUET] Fonds Leclerc - 01/01/1930 - 01min06s

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