Fatigue : aspects psychophysiologiques

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Utilisation de la perception de l'effort durant l'exercice

Le paradigme classique « catastrophe » occulte la place du contrôle mental, de la motivation dans le processus de fatigue et de sa régulation au cours d'exercices fatiguant. Des paramètres perceptifs existent néanmoins et leur évolution peut être explorée durant l'exercice. Le plus connu d'entre eux est la perception de l'effort.

Les mécanismes permettant que les afférences sensorielles provenant de la périphérie interagissent avec les fonctions mentales supérieures ont été largement étudiés depuis longtemps. Dès la fin du XIXème siècle, William James, propose que les changements qui se produisent au niveau de l'organisme induisent une perception de ces changements (James, 1894). Les travaux récents effectués en neurophysiologie montrent qu'il existe une relation étroite entre le niveau de perception de l'état physiologique et celui de cet état par l'intermédiaire d'un traitement cérébral des afférences physiologiques périphériques (Pollatos et al., 2005b).

C'est la stimulation corticale induite par les afférences sensori-motrices (Gray et al., 2007) qui serait responsable de la perception des changements physiologiques (Pollatos et al., 2005a).

Dans le domaine des sciences de l'exercice, la perception la plus étudiée et utilisée couramment est celle relative à la notion d'effort. Hampson et coll ont montré qu'il existe une interprétation non consciente des afférences provenant de la périphérie et qu'elle induit une perception consciente de l'effort produit durant l'exercice (Hampson et al., 2004). Ainsi, bien que subjective, la perception de l'effort est envisagée comme l'interprétation consciente du niveau de fatigue physiologique (Joseph et al., 2008; Noakes et al., 2004).

La fréquence cardiaque (Bar-Or et al., 1972; G. Borg, 1973; G. A. Borg & Linderholm, 1967; Skinner et al., 1973; Stamford & Noble, 1976), la consommation d'oxygène (Skinner et al., 1973), la fréquence et le débit ventilatoires (Noble et al., 1973b), la concentration sanguine en acide lactique (Hetzler et al., 1991) ou encore les contraintes musculaires (Noble et al., 1973a; Skinner et al., 1973; Stamford & Noble, 1974; Takai, 1998) sont habituellement reconnus pour influencer le niveau de perception de l'effort. Néanmoins, aucun paramètre ne permet de rendre compte isolément de ce niveau (Hampson et al., 2004). C'est l'ensemble des modifications physiologiques induites par l'exercice qui entraîne une augmentation linéaire de la perception de l'effort en fonction de l'intensité et de la durée d'exercice (Crewe et al., 2008).

D'autres auteurs réfutent le fait que la perception de l'effort soit induite par l'intégration des afférences périphériques par le système nerveux central, sans pour autant apporter d'hypothèse alternative validée. On touche ici un domaine très complexe qui nécessite une approche transdisciplinaire : celui des perceptions, des émotions, celui des liens entre la physiologie et la psychologie...Cette complexité est forcément difficile à appréhender et engendre logiquement des débats entre scientifiques.

Dans tous les cas, la perception de l'effort évolue proportionnellement à l'intensité de l'exercice et augmente significativement avec l'apparition de la fatigue lorsqu'on la mesure avec une échelle telle que celle proposée par Borg (REF) (figure 1, 2 et 3).

Echelle de perception de l'effort
Evolution de la perception de l'effort en fonction de l'intensité
Evolution de la perception de l'effort avec le temps lors d'un exercice fatiguant à intensité constante

Elle est donc un outil intéressant dont il serait dommage de se priver pour tenter d'appréhender la fatigue avec une approche la plus large possible et non pas purement physiologique.

Elle est utilisable par tous avec un minimum d'habitude et permet d'améliorer la connaissance de soi. Elle est transférable d'une activité à une autre comme moyen de gestion de l'investissement en fonction de la nature de l'exercice à réaliser. Elle représente un outil fiable de contrôle du stress induit par un exercice, parfois plus fiable que des indices physiologiques objectifs et directement quantifiables.

Un sportif soufrant d'un début de syndrome de surentraînement par exemple peut très bien effectuer les même temps que d'habitude avec une même fréquence cardiaque, mais sa perception de l'effort qu'il est en train de réaliser sera plus importante. Ses variations sont plus précoces que les indices physiologiques dans ce cas. Et ce n'est donc pas pour rien si elle est largement utilisée dans les domaines de l'entraînement sportif, de la santé et en EPS.

ComplémentRéférences

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Crewe, H., Tucker, R., & Noakes, T. D. (2008). The rate of increase in rating of perceived exertion predicts the duration of exercise to fatigue at a fixed power output in different environmental conditions. Eur J Appl Physiol, 103(5), 569-577.

Gray, M. A., Harrison, N. A., Wiens, S., & Critchley, H. D. (2007). Modulation of emotional appraisal by false physiological feedback during fmri. PLoS ONE, 2(6), e546.

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Hetzler, R. K., Seip, R. L., Boutcher, S. H., Pierce, E., Snead, D., & Weltman, A. (1991). Effect of exercise modality on ratings of perceived exertion at various lactate concentrations. Med Sci Sports Exerc, 23(1), 88-92.

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Takai, K. (1998). Cognitive strategies and recall of pace by long-distance runners. Percept Mot Skills, 86(3 Pt 1), 763-770.

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